Archives du Théâtre 140


British rubbish



Le Phare Dimanche

15-12-1963

Au Théâtre 140

British rubbish

Le « 140 » — car la salle est situeé au 140 de l'avenue Plasky — est le deuxième de ces théâtres de faubourg qui bénéficient de la pénurie de tramways, transformant Bruxelles en ville morte dès huit heures du soir. Habiter Saint-Job ou le fin fond de Schaerbeek, et attendre pendant vingt minutes un hypothétique tramway sous un vent qui vous gèle sur place — il n'en faut pas plus pour expliquer que le Centre devient désert la nuit.

Et le « 140 » semble parti à toute allure, sous la direction de Jo Dekmine, qui fait du « cabaret-théâtre », selon une formule qu'il définit avec bonheur dans son programme. Un côté « rive gauche » (de la Seine), du théâtre à côté, du spectacle-spectacle, un certain goût du merveilleux qui va du crazy-show à une revivance du « Elckerlyc », vieille moralité du XVe siècle, des expériences en tous sens, voilà qui promet, et déjà les jeunes viennent en foule, attirés par cette formule faite pour eux.

« British Rubbish », cette « poubelle » anglaise, Jo Dekmine dit avec raison que c'est un peu comme si l'Angleterre de la reine Victoria avait connu les Marx Brothers. On y voit les « Alberts », vieux étudiants à barbe qui jouent du canular, sous la férule de Bruce Lacey, le meilleur de la bande. Il y a une femme, aussi, que le programme ne se donne même pas la peine de citer, tour à tour diva et comparse.

Indescriptible, car « il faut le voir pour le croire ». Pas question de tableaux, à peine des sketchs. Des blagues énormes qui portent ou ratent, des pétards innombrables qui explosent trop tôt ou trop tard, des morceaux baroques exécutés sur des instruments farfelus des « jokes » bêtes à mourir célèbres au temps jadis, un train d'enfer : le temps d'un éclat de rire et on passe à d'autres exercices.

Il y a sûrement, comme chez les Marx Brothers, un goût sadique de la destruction, la scène est jonchée de débris de tous genres, mais il y a plus, ici, que dans le principe du « Ménage de Caroline », on atteint l'Anglais lui-même, dans sa respectabilité et son snobisme, le spectacle fait partie des coups portés à l'ère victorienne. Il n'est pas un gentleman qui ne soit concerné par l'immonde smoking de Lacey, sa chevelure échevelée, sa chemise crasseuse. Le spectacle doit porter à fond en Angleterre, où chacun doit se sentir délicieusement flagellé, dans son hypocrisie.

Et pourtant, comme il est difficile de faire rire son monde! La maladresse évidente de certains « Alberts » quand ils cherchent à jouer la comédie, leur manque de métier peut paraître tantôt agaçant tantôt efficace. Ils ne sont jamais si bien qu'impassibles, sans accentuer leurs farces de mimiques appropriées. Bruce Lacey, lui, est un véritable clown, il a des moments étonnants, mais son vocabulaire mimique est assez pauvre.

On compte aussi sur une certaine brutalité, rare sur nos scènes, on casse une « vraie » bouteille sur la tête d'un type, tout se passe comme si l'acteur avait vraiment mal, le massacre joue à plein.

Comme toujours, le rire est une question de mesure et de climat. On commence par dire, « c'est bête », et on reste de glace, puis « c'est trop bête » et on s'esclaffe, puis « c'est vraiment trop bête », et plus rien ne se déclenche.

Mais, encore une fois, il était très intéressant de voir ce « Rubbish » et seul le « 140 » pouvait nous l'amener, sous les meilleures conditions.

Les prochains spectacles comportent notamment « Les deux Gentilhommes de Vérone », pièce peu connue de Shakespeare, par le Théâtre de l'Alliance.

H. GL

Auteur H. CL.

Publication Le Phare Dimanche

Performance(s) An Evening of British Rubbish

Date(s) du 1963-12-02 au 1963-12-08

Artiste(s) The British Rubbish

Compagnie / Organisation