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Au Théâtre 140: un 'Insolite Crazy Show' pas si insolite que cela



La Lanterne

30-12-1963

Au Théâtre 140 :

un « Insolite Crazy Show »

pas si insolite que cela

Le reproche majeur que l'on peut adresser à l'« insolite Crazy Show » monté par le « Théâtre 140 » ( 140, avenue Plasky) en cette fin de l'année 1963, c'est de ne pas être, en somme aussi insolite que l'on se plait à nous l'affirmer. C'est beaucoup moins insolite que les « British Rubbish », encore que ceux-ci n'eussent fait autre chose que de remonter, pour le renouveler aux sources du comique de la « tarte à la crème ». Le spectacle dont il s'agit aujourd'hui, c'est un ensemble de numéros qui peuvent sembler drôles ou agréables mais qui ne sont pas de ceux là qui surprennent à force d'originalité percutante et agressive.

Qu'Angelo Bardi (du cabaret « la Galerie 55' de Paris), bonne « bouille » à la Michel Gala-bru, d'un Galabru qui aurait tout plein de tics, amuse quand il bafouille délibérément et « surréalistement » des inepties concertées qui, d'aventure, ont des aspects de petits drames rigolos, on en convient volontiers. Mais si M. Bardi fait un travail honnête, il n'ouvre guère une voie et celle où il chemine, on la connait depuis belle lurette, pas vrai?

Idem pour les dialogues de Pierre Richard et Victor Lanoux qui ont pris beaucoup de peine pour ajuster des questions et des réponses sans relations entre elles. H leur arrive d'en trouver qui sont fort drôles d'ailleurs et l'on songe tout simplement à certaine histoire d'allumette se dérobant aux recherches effectuées dans les poches de son propre vêtement par un quidam bientôt énervé. C'est bien sur, l'énervement qui est cocasse. Toutefois un coup il n'est plus la rien d'insolite depuis beau temps.

Idem encore pour le tour de chant de Monique Tarbes (du cabaret parisien « l'Ecluse »). S'efforçant à unir le loufoque et la cruauté « style vilain coco », elle force à penser parfois à Agnès Capri et parfois à Odette Laure, l'une des meilleures parmi les actuelles chanteuses de variétés mais à qui la place qu'aurait du lui valoir son remarquable talent n'a pas été faite par un public qui depuis quelques années, paraît apprécier les tours de chant de ceux n'ayant rien de ce qu'il faut pour chanter, ni voix, ni esprit, ni talent, les Françoise Hardy, les Adamo et consorts. Partant, un argument en faveur de Moniques Tarbes serait qu'elle n'a pas de voix, que ce qu'elle fait entendre, c'est une série de sons désobligeants pour l'oreille. Elle fait penser à Agnès Capri et tantôt à Odette Laure? mais

elle en est une bien méchante caricature.

Les amateurs de bonnes chansons trouvent une compensation dans le tour de chant de notre compatriote Serge Davignac. Tout est sensible, fin, racé dans la manière de celui-ci, qui, on le sait, écrit lui-même des textes que José Veranne se charge de mettre en musique. En résumé, c'est de l'authentique et tout le monde sans doute serait convaincu que l'on tient en Serge Davignac l'un des vrais poètes actuels de la chanson s'il mettait plus d' « attaque » dans ses interprétations. De ce point de vue, il y a déjà pas mal de progrès depuis l'an 1961 où on l'entendit pour la première fois. Faisons-lui confiance. Si l'on peut cependant trouver quelque insolite à la prestation de Serge Davignac, c'est par cette sorte d'audace qu'il faut avoir présentement pour proposer au public des chansons de bon goût José Veranne assume les accompagnements de tous les tour de chant que le programme comporte. Il s'acquitte de sa tâche avec talent.

Et le numéro de Jacques Dufilho, fait des monologues qui tournent souvent à la comédie à une voix? Si l'on ne saurait non plus le trouver aujourd'hui si insolite que cela, le numéro est de premier ordre. Il est d'un très grand comédien, d'un comédien en possession de tous les secrets de son art Un sens de la composition évidemment remarquable. De l'ironie et de la bonhomie, de la lucidité (qui est toujours un peu cruelle par définition) et de l'amitié tout à la fois. Qu'il raconte ses souvenirs de prisonnier de guerre dans une ferme proche de Munich dont l'exploitant était en relations avec la famille depuis 1917 pour avoir alors été le gardien du frère aîné de Dufilho, prisonnier lui-même alors, qu'il compose une silhouette d'Allemand à la recherche de son médiocre français, ou bien de servante servant de guide, à la science combien confuse, aux visiteurs d'un château, ou bien encore de vieille fille ayant des mots avec le garagiste qui lui répare sa voiture, toujours c'est d'une singulière justesse de touche et des plus savoureux.

Ah! le programme comporte encore la projection d'un film « Les Astronautes » de Chris Marker. Techniquement, cela n'est pas sans intérêt mais relativement audacieux. Il paraît que c'est comique.

On n'y rit guère autant qu'on avait pu l'espérer. La technique pour la technique. Alors? C'est une formule fausse.

ROBERT CHESSELET

Auteur Robert Chesselet

Publication La Lanterne

Performance(s) The Insolite Crazy Show

Date(s) du 1963-12-27 au 1963-12-31

Artiste(s) Jacques DufilhoMonique TarbesAngelo BardiSerge DavignacChris Marker

Compagnie / Organisation