Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, Serge Gainsbourg



Le Peuple

12-2-1964

Au Théâtre 140

Serge Gainsbourg

On attendait avec beaucoup de curiosité, mais sans aucune inquiétude, l'apparition de Serge Gainsbourg, auteur-interprète, sur la scène du 140.

Accompagné par Elek Bacsik, guitariste gitan et l'un des meilleurs guitaristes de jazz de France, le programme se présentait comme un fin morceau... Et l'on fut un tantinet déçu.

Cette soirée, qui comportait encore d'autres numéros comme Alain Ricar. Romain Bouteille, et un court métrage de démystification sur Mona Lisa, se caractérisa non seulement par l'insolite — cachet du 140 — mais surtout par une certaine froideur. « Une certaine Mona Lisa à l'incertain sourire » était cependant fort drôle; il était dû à Paul Paviot et trainait sans ménagements la fameuse toile de Vinci en train, en avion, en voiture. Alain Ricar, ce comédien-chanteur, maniait l'accordéon pour soutenir des textes qui surprennent mais n'accrochent pas.

El puis vint Romain Bouteille... Emmitouflé dans un costume trop grand pour lui, avec un trench et une énorme écharpe rouge, it débite d'un ton monocorde une série de méchancetés virulentes, intelligemment pensées et qui vont droit au but. Fantaisiste, habitué des planches — il faisait partie de la distribution de « la Maison d'Os » de Roland Dubiliard, dont il subit manifestement l'influence — Romain Bouteille fit probablement la meilleure prestation de la soirée. Car si Serge Gainsbourg arrivait précédé de la réputation flatteuse de nombreux disques excellents, de la référence que constituait pour lui les noms prestigieux d'interprètes français parmi les meilleurs qui le chantent (Yves Montand, Catherine Sauvage, etc.) et si la musique de film qu'il a réalisée est considérée par les plus difficiles comme du jazz de la meilleure facture, Serge Gainsbourg ne fut pas à la hauteur de ce que l'on attendait de lui. Se cantonnant dans un choix de ses textes parmi les plus cyniques et les plus misogynes, ce qui pouvait constituer un tour de chant monotone peut-être mais quand même intéressant, ces chansons se révélèrent quasi toutes tronquées : les pirouettes finales sont souvent drôles, mais à force de se répéter, cela ressemble à un système et finit par lasser, ce qui ne manqua pas de se produire.

Pourtant. Gainsbourg s'est laissé aller parfois dans certains de ses disques à une certaine sensibilité, qui était pourtant loin de verser dans la sensiblerie. Aurait-il cru déchoir en les chantant au 140? Combien plus solide alors était Elek Bacsik qui accompagnait et soutenait Gainsbourg, effacé au fond de la scène mais tellement efficace.

Le public, averti pourtant, qui s'était déplacé ce soir-là. n'a pas « mordu », alors qu'il ne demandait que cela. Dommage.

Chris. L.

Auteur Chris L.

Publication Le Peuple

Performance(s) [concert]

Date(s) du 1964-02-12 au 1964-02-16

Artiste(s) Serge Gainsbourg

Compagnie / Organisation