Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140: un Serge Gainsbourg à l'inspiration avare et au débit monocorde



La Lanterne

14-2-1964

Au Théâtre 140 : un Serge Gainsbourg à l'inspiration avare et au débit monocorde

Gainsbourg est venu présenter son tour de chant au « Théâtre 140 ». « Ce tour de chant », nous avait-il confié au cours d'un cocktail qui avait été organisé en son honneur, au « Martini Center », la veille de la première « je l'ai composée avec les chansons qui sont selon mon coeur et qui me ressemblent. Rien de commun avec les « chansons commerciales » que j'ai composées pour d'autres ». Et cette déclaration m'avait donné un grand espoir, celui de découvrir, à travers des oeuvres à son image, le secret d'un grand artiste, d'un grand poète de la chanson.

Las! Mon espoir a été déçu. Cruellement. Les « chansons réservées » de Serge Gainsbourg sont, d'une façon générale, peu convaincantes. « Dans ces chansons, je traite mes thèmes », avait ajouté l'auteur-compositeur. Il avait précisé : « La misogynie par exemple ». Moi, je veux bien et, sans approuver le principe, j'admets parfaitement que la misogynie procède d'une blessure secrète de l'âme. Mais celle de Serge Gainsbourg paraît être seulement le résultat d'une spéculation intellectuelle assez gratuite et constituant une source d'inspiration avare. Les chansons que Serge Gainsbourg, particulièrement attentif au texte affirmait-il, apparaissent des dissertations banales et sèches donnant envie de crier à l'auteur le mot do Cyrano : « Ah! Non, c'est un peu court, jeune homme. Et les chansons écrites sur d'autres sujets ne sont guère plus riches, et le caractère assez monocorde de la musique n'est pas davantage compensé que la médiocrité des paroles par les interprétations que Serge Gainsbourg lui-même en propose. Ce qu'elles sont nonchalantes, et ternes, ces interprétations! Retenons, pour ce qu'elles passèrent un peu moins pâles les chansons intitulées « Où est ma petite amie? », « La recette de l'amour fou », et « Le poinçonneur des Lilas ». Oisons que, durant ces chansons, la grisaille un moment parut moins épaisse.

Pour accompagner son tour de chant morose, Serge Gainsbourg avait cependant un guitariste qui, peur autant que l'on en ait pu juger, est de première force : Elek Bacsik. Que celui-ci n'a-t-il fait valoir son talent en deux ou trois soli. Le soleil se serait alors probablement montré.

Au programme il y avait encore le tour de chant d'Alain Ricar. Tour de chant indigent et facile que ne rehaussent pos les minauderies dont s'accompagnent les interprétations de l'auteur.

Détachons-en quand même une chanson de caractère populaire assez bien venue : « J'ai un métier : louer de l'accordéon dans les rues ».

Pour Romain Bouteille, qui est, lui aussi, de la partie, ses espèces de petites conférences patiemment en quête du farfelu, ses espèces de conférences où l'on entend des propos tels celui-ci :

Le lard est au cochon ce que la robe est à la femme, ne manquent pas d'attraits. Mais pourquoi diable! Romain Bouteille, qui est comédien de mérite, croit-il, lorsqu'il les débite, devoir bafouiller au risque d'en rendre certains mots inintelligibles? Cette manière n'ajoute rien au comique.

Il y avait encore un petit film frondeur, injuste, mais qui avait de l'accent, sur l'obsession que peut donner la multiplication des images de la Joconde.

C'était, à mon sens, le meilleur de la soirée.

Robert CHESSELET.

Auteur Robert Chesselet

Publication La Lanterne

Performance(s) [concert]

Date(s) du 1964-02-12 au 1964-02-16

Artiste(s) Serge Gainsbourg

Compagnie / Organisation