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Au Théâtre 140: le 'Living Theatre' de New York a fort bien joué 'The Brig', de Kenneth Brown, mais la pièce ne présente aucun intérêt



La Lanterne

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Au Théâtre 140: le "Living Theatre" de New York a fort bien joué "The Brig", de Kenneth Brown, mais la pièce ne présente aucun intérêt

M. Kenneth H. Brown, de Brooklyn, fit, nous apprend le programme, ses études classiques chez les bonnes sœurs, puis chez les bons père de la compagnie de Jésus, s'en alla ensuite apprendre « l'art de tuer » chez les « marines », enfin fut « accablé » d'intellectualité (oppressed by intellectualism) à l'Université de Columbia. Certainement il a gardé de son passage chez les « marines » un fameux souvenir. En tout cas, sous le titre « The big », il a évoqué une journée des « marines » réfractaires dépêchés à ce pénitencier ceinturé de barbelés qui avait été installé au pied du mont Fuji-Yawa, dans le centre du Japon.

C'est cette pièce qui a été jouée au « Théâtre 140 », sous les auspices de l'A.D.A.C., par le « Living Theatre » de New York qui s'était déjà produit à Bruxelles, il vous en souvient, dans « The Apple » et dans « The Connection ».

La pièce, mise en scène par Mme Judith Malina, est remarquablement jouée par dix-sept acteurs blancs et noirs. La qualité de l'interprétation ne réussit pas à conférer le moindre intérêt à ce documentaire, à cette pièce-reportage. Ce soir-là, si on ne l'avait su depuis longtemps déjà, on aurait appris que c'est une formule qui ne vaut rien, celle de la tranche de vie chère à ces naturalistes français de la fin du XIXe siècle qui paraissent disposer d'un bien curieux ascendant sur pas mal de dramaturges américains d'aujourd'hui.

Les deux défauts majeurs de la pièce-reportage dont il s'agit, c'est d'abord que la distribution comprenant une dizaine de prisonniers, les mêmes phrases et les mêmes effets sont constamment répétés une dizaine de fois, c'est-à-dire jusqu'à satiété, c'est-à-dire jusqu'au point où ils se détruisent eux-mêmes aux yeux du spectateur excédé ; c'est ensuite et surtout que les prisonniers comme leurs gardiens d'ailleurs, sont strictement anonymes et que l'on ne saurait s'attacher à des êtres anonymes et ne laissant rien transparaître de leurs personnalités respectives. Du moins, dans ce « Nous ferons de vous des hommes » qui, par parenthèse, ne fut, au total, pas moins bien joué en notre « Théâtre national » que ce « The Brig » l'est au « Living Theatre », l'auteur, l'Anglais Arnold Wesker avait fait un effort pour différencier, les unes des autres, les recrues amenées au camp d'instruction de la R.A.F. Il paraît, nous a encore dit l'obligeant programme que le « pensionnaire » du pénitencier doit adopter un ton clair, sans affectation mais aussi impersonnel. En foi de quoi, ces « pensionnaires » ne pouvaient faire de bons personnages, le théâtre, par définition, aimant les êtres fortement individualisés.

Mais a expliqué Mme Malina au cours d'une interview accordée à un confrère. Il y a le caractère exemplaire de ces expressions de théâtre cruel dont avait déjà parlé Antonin Artaud. L'évocation des mauvais traitements subis dans les pénitenciers de l'armée américaine est-elle à même de réduire par avance les « fortes têtes », ayant un service militaire à accomplir? On laissera aux Américains le soin d'en décider eux-mêmes mais on se permettra de dire que, bien que nul n'Ignore que des compagnies disciplinaires où les instructeurs se comportent souvent comme des brutes, Il en existe dans toutes les armées du monde, une pièce comme celle de M. Kenneth H. Brown, c'est, à l'étranger, de l'étrange propagande.

Le décor est de M. Julian Beck. Il est froid comme une salle de gymnastique de notre Occident.

Pour moi, il est raté.

Beaucoup d'effort pour rien en somme.

Robert CHESSELET.

Auteur Robert Chesselet

Publication La Lanterne

Performance(s) The Brig

Date(s) 1964-11-07

Artiste(s) Kenneth Brown

Compagnie / Organisation The Living Theatre