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'Hilarious': le music-hall anglais réalise une brillante traversée de la Manche



La Métropole

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Au Théâtre 140

« Hilarious »: le music-hall anglais réalise une brillante traversée de la Manche

On connaît mal le music-hall anglais, son goût du travesti et de l'imagerie sentimentale, son victorianisme délicieusement pervers et ses rengaines fortement scandées. L'exporter, c'est courir le risque de le voir se gâter. Car ce répertoire qui a les couleurs de Rotherhite, est imprégné des relents de Stepney et des canailleries de Greek Street, est aussi délicat qu'un poisson exotique. Aussi est-ce tout à l'honneur des artistes de « L'Establishment » de Soho et du « Player's Theatre Club » d'avoir réussi, en l'enrichissant et en le stylisant, à lui faire traverser la Manche en 3 tours d'horloge — ce que dure « Hilarious », le juvénile et burlesque spectacle du 140.

Britanniques, ces artistes le sont immodérément. C'est-à-dire qu'ils débordent de vitalité, de candeur et d'astuce. Le fluide qui aimante chaque numéro est celui de la jeunesse ; aussi retrouve-t-on, que ce soit parmi les musiciens, dans le « punch » de Beryl Brighton ou les évolutions d'un maillot noir, ce goût de la vie qu'on respire encore à Drury Lane mais certes plus à Pigalle ou aux tristes Champs-Elysées.

L'attraction majeure, ce sont les Temperance Seven, qui marient l'allure des Minstrels à la puissance de choc des orchestres Dixieland. Ou son du cornet et du banjo — instruments qui permettent de voyager dans le passé — on se retrouve tantôt à Piccadilly, en 1918. tantôt dans le Chicago de la prohibition — ou encore à la fin du règne de Victoria. Humoristes et solistes hors pair, les 7 gaillards que voilà; le sont ; on fume un cigare entre deux chorus, on savoure une tasse de thé après avoir lancé un couplet, on va se faire tuer un tantinet lors d'une campagne aux Indes... Mais qu'elle est bien sonnante la trompette et nerveuse la clarinette!

John Lowe, tour à tour prestidigitateur et bourreau de la Tour de Londres, est tout les personnages que l'on veut. Si médités qu'ils soient, ses « gags » ont la fraîcheur de l'improvisation. La danseuse Ilona Illes, silencieuse et légère comme une image projetée, est une apparition presque trop fugace à la fois girl et gavroche, elle est le Puck insaisissable du dédale londonien. Holly Doone, partagée entre le caf' conç' et le son américain, a plus de charme que d'envergure ; elle passe la rampe mais de justesse... Franky Laland est presque trop routine, mais il fait mouche à chaque trait.

Enfin il y eut cette apparition surprenante et pailletée, d'un mauvais goût délicieux : Beryl Brighton. Cette énorme blonde rêvée par Ronald Searle a le don de secouer les salles comme un « Shaker ». Rien ne résiste à son abattage terrible. Cela sent les bouges de Chicago et de l'Ile aux chiens. Enrobés de sa voix rauque et forte, « Basin Street Blues » et « One of these day » s'achevèrent par des bouquets d'applaudissements. Pas de doute : « Hilarious » a pris un départ en flèche ; sitôt dégelé, le public prend le mors : preuve que l'Angleterre — la seule et dernière nation surréaliste qui soit — reste scandaleusement méconnue.

B. L.

Auteur B.L.

Publication La Métropole

Performance(s) Hilarious - One Evening in Soho

Date(s) du 1964-12-17 au 1964-12-31

Artiste(s) The Temperance SevenThe Watermans Arms

Compagnie / Organisation Players Theatre