Archives du Théâtre 140


Deux pièces de Tankred Dorst



La Dernière Heure

?-4-1965

Au 140 Deux pièces de Tankred Dorst

Jeune auteur dramatique allemand, joué principalement à Berlin, Tankred Dorst a notamment écrit « Le Virage » et « La grande imprécation devant les murs de la ville », deux pièces en un acte dont le Théâtre 140 — soutenu en la circonstance par le mécénat privé — a assuré la création en langue française, les adaptateurs étant Marianne Szemmel et Simone Hilling pour la première et Gaston Jung pour la seconde.

Dans « Le Virage », on se trouve en présence de deux frères, un manuel et un intellectuel, qui habitent non loin d'un virage qui, en raison de l'étroitesse de la route, est extrêmement dangereux pour les automobilistes, surtout lorsque ceux-ci l'abordent sans être prévenus et que le soleil, à son zénith, trouble leur vision exacte des choses. L'un des frères a enlevé la signalisation avertissant l'usager du danger et il ne manque ainsi jamais de matière première, la remise en état des autos accidentées (ainsi que leur camouflage et leur revente) étant considérée par lui comme un des beaux arts! Quant à son frère, sa mission consiste à enterrer les morts, à prononcer leur éloge funèbre, puis à écrire de longues et véhémentes protestations au vice-président de la Sécurité routière pour réclamer l'élargissement de la route meurtrière. Tant que l'administration fera la sourde oreille, n'est-ce pas elle qui est la responsable de toutes ces morts?

Quand la vingt-cinquième victime se révèle être le vice-président en question, venu enquêter sur place, l'espèce d'alibi moral que s'étaient forgé les deux frères perd évidemment de sa consistance. Surtout que, miraculeusement, la victime n'est cette fois que légèrement commotionnée! Mais qu'à cela ne tienne : son utilité, son incapacité, sa suffisance ne sont-elles pas des arguments suffisants pour qu'on le tue?...

Au malaise que l'on éprouve normalement en assistant au développement d'un tel sujet se joint ici celui qui trouve son origine dans la mise en scène de Moshe-Naïm : on aurait dû concevoir, pour cette pièce, nous semble-t-il, une mise en scène résolument bouffonne ou, au contraire, adopter un ton dramatique sans concession, beaucoup plus grinçant et sinistre; Moshe-Naïm n'a pas osé aller à fond dans un sens ou dans l'autre et c'est peut-être pourquoi la réalisation ne nous plaît qu'à demi et nous a fait ressentir davantage la longueur, née d'inutiles bavardages, d'un ouvrage auquel Jacques Hilling, Jean Mauvais et Jean-Claude Rolland surtout apportent le meilleur d'eux-mêmes.

Ces trois comédiens figurent aussi dans « La grande imprécation devant les murs de la ville », sorte de tragédie moderne où l'on instruit, en quelque sorte, le procès du couple. Parce qu'elle est jeune et qu'elle n'entend pas demeurer plus longtemps seule, une femme supplie l'empereur, au pied de la muraille de Chine, de lui rendre son mari qui est soldat. Celui-ci n'est plus. Mais pour la femme, un autre fera tout aussi bien l'affaire.

Magnanime, l'empereur accorde de libérer l'homme, pour autant que les deux intéressés apportent, devant une sorte de tribunal composé de deux officiers, la preuve qu'ils sont réellement mari et femme. Et c'est en essayant de construire leur mensonge que les deux pitoyables héros en arrivent, bien que ne s'étant jamais vus, à se déchirer mutuellement.

Ici, le rôle principal est celui de la femme, très bien tenu par Henia, une jeune actrice israélienne qui a de beaux élans, du style... et du souffle, car une fois encore, malheureusement, la pièce est gratuitement bavarde.

Comme les interprètes, le décor massif de René Lambert a été fort applaudi.

R.P.

Auteur R.P.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) "Le Virage; La Grande Imprécation devant les murs de la ville"

Date(s) du 1965-03-25 au 1965-04-10

Artiste(s) Tankred DorstEnsemble Théâtral de ParisMoshe Naïm

Compagnie / Organisation