Archives du Théâtre 140


'Jazz-ballet'. Un quintette de musiciens pour un quatuor de danseurs



Le Soir

16-10-1965

AU THEATRE 140

« JAZZ-BALLET »

Un quintette de musiciens pour un quatuor de danseurs

Ce sont des retrouvailles que l'on a célébrées au « Théâtre 140 » : celles du jazz et de la danse! Les péripéties de la vie avaient séparé ce couple que l'on connut jadis parfaitement uni. Le « jazz » avait conquis ses lettres de noblesse dans le monde musical, mais sa partenaire de toujours n'avait eu l'occasion de s'exprimer que dans le ballet moderne ou la danse de salon.

M. Jo Dekmine, l'animateur du « Théâtre 140 », leur a offert l'occasion de reprendre la vie commune et a convié son public à fêter cet événement.

Certes, après une aussi longue séparation, le dialogue n'a pas repris d'emblée avec tout le naturel et toute l'aisance souhaitées. Mais la signification énorme du principe de la « co-naissance » du jazz et de la danse n'échappera à personne.

Suivre, traduire, rendre visuelles par la danse les variations spontanées de la musique sur un thème donné peut être à l'origine d'un renouveau de ce qu'il est convenu d'appeler la « danse d'expression ».. En effet, la danse renonce à l'architecture rigoureuse de la création chorégraphique du ballet classique, comme le jazz se passe de la partition musicale pour y substituer le jeu libre sur un simple thème convenu.

Les artistes de la « Jerome Andrews Dances Company » se sont livrés à un travail de précurseurs. La recherche est aussi importante en art qu'en science. Il n'en reste pas moins que l'on a pu regretter qu'il n'y eût pas une volonté constante de réaliser l'adéquation parfaite des expressions musicale et dansée.

Au contraire, M. Roger Ribes, qui menait la danse, rompit de propos délibéré parfois avec la musique, jusqu'au point de composer une fantaisie « pop'art » sur une mélodie d'inspiration orientale. C'est une opposition qu'a déjà exploitée Merce Cunningham.

D'autre part, la danse d'expression, libre, spontanée, exige un véritable génie du geste et du mouvement ou, à défaut, un écolage d'un niveau que les danseuses du groupe. Michèle Husset exceptée, n'ont pas encore atteint.

L'important, répétons-le, est que le départ soit donné. Et cette tentative de fusion du « jazz » et du ballet a reçu d'un public jeune un accueil chaleureux.

Les amateurs de « jazz » sans ballet auront passé eux aussi d'excellents moments. Là, vraiment, il suffit de nommer les musiciens pour, que l'on soit convaincu de la qualité de la prestation : Michel Roques (sax-ténor et flûte) avec une espèce d'affirmation agressive et douce tour à tour du « spleen », Jean-Claude Lubin (piano), qui pousse le thème dans ses ultimes raffinements, Benoit Quersin (basse), qui sort de son instrument des variations surprenantes, Jacques Pelzer (sax-alto et flûte), qui appuie sur un métier exceptionnel ses trouvailles mélodiques, et Jacques Thollot (drums), qui souligne le jeu de ses partenaires avec intelligence et met de la musicalité jusque dans les rythmes.

Quant à Walt Dickerson (Etats-Unis), il arracha d'un vibraphone bien tempéré des mélodies d'une architecture subtile et d'une tonalité émouvante.

Enfin, autre figure de ce premier festival international de jazz à Bruxelles, Nedley Elstak (Surinam), trompette, qui ouvre la voie à Dexter Gordon (sax-ténor américain), qui se produira les 19, 20 et 21 octobre, et à Stefan Grapelli (violon) les 22 et 23 octobre.

M.B.