Archives du Théâtre 140


Du jazz pur avec Théolonius Monk



Le Soir

6-4-1966

Au Théâtre 140

DU JAZZ PUR

avec Théolonius Monk

La venue de celui que l'on a appelé le « grand prêtre du jazz » attire toujours une foule d'admirateurs; ce fut le cas au Théâtre 140 pour les deux séances que donnait cet étonnant musicien, dont les extravagances alimentent la chronique, mais dont le talent n'a nul besoin de clowneries pour s'imposer.

La première partie du programme était consacrée à une exhibition de solistes belges. Force nous est de dire qu'elle ne fut pas extraordinaire, du moins en ce qui concerne la séance du soir. Jacques Pelzer, excellent et réputé sax-alto et flûtiste, demeura dans les limites d'un style brillant mais haché, virtuose mais froid. René Thomas, considéré comme l'un des meilleurs guitaristes mondiaux, ne put en faire réellement la preuve avec la démonstration assez terne qu'il offrit. Benoit Quersin était remplacé à la basse par M. Lerusse, adroit mais peu organisé, et le batteur noir Edgar Bateman couvrit le tout d'un flot de rythmes assourdissants.

L'ensemble souffrit de l'absence de structures harmoniques et rythmique et d'une certaine incohérence dans le déroulement et les improvisations. De plus, la présentation scénique est fâcheusement négligée autant par les attitudes que par la tenue vestimentaire et les éclairages.

Tout autre est l'impression faite par Théolonius Monk et ses musiciens : Charlie Rouse, sax-ténor, Ben Riley, batterie, et Lary Gales, basse.

Dans une présentation impeccable, élégamment vêtus, évoluant adroitement pour laisser les solistes au premier plan, mis en valeur par d'excellents effets d'éclairages, les quatre musiciens firent sans peine la démonstration de leurs qualités, en ordre principal la fine musicalité, un jeu nuancé (la distinction et la discrétion de la batterie...), une technique légère et précise. Théolonius Monk au piano, très à l'aise ce soir-là et nullement enclin aux excentricités, sut, de son style paradoxalement sommaire et raffiné, créer l'atmosphère qui lui est propre : rythmes burinés, harmonies inattendues, dédain de la virtuosité, expression intense. Dans des formes que l'on peut considérer comme académiques, et en tout cas traditionnelles, Théolonius Monk et ses partenaires apportent le témoignage du jazz pur, évolué quant aux moyens, mais « originel » dans son essence. On se retrouve, comme avec les grandes personnalités du genre, à la source commune, où chacun puise son bien mais sans en altérer le cours.

Jacques STEHMAN.

Auteur Jacques Stehman

Publication Le Soir

Performance(s) [concert]

Date(s) 1966-04-03

Artiste(s) Théolonius Monk Quartet

Compagnie / Organisation