Archives du Théâtre 140


Frankenstein



THEATRE 140

140, AV. EUGENE PLASKY

Nous situons les deux spectacles sur un même plan de préoccupation. Judith Malina, Julian Beck et Marc 0 ont sans doute ceci en commun: la haine des « phrases », une volonté de faire image, le paroxisme dans l'expression corporelle ou le verbe, la recherche d un autre « naturel » que celui de comédie, la discipline collective et exaltante des comédiens, le théâtre-emblème, le théâtre-pamphlet...

« Les idoles », infiniment drôle, charge qui pourrait être prise au premier degré, rencontre le living théâtre et son « Frankenstein », spectacle

apocalyptique et d'une lourde signification humaine, l'un et l'autre sont « urgents » comme ces inscriptions à la chaux que l'on découvre le matin sur les panneaux d'affichage, les badigeonnages de la nuit…

JO DEKMINE

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LES IDOLES

LA PIECE

Ce soir-là nous n'étions guère plus qu'une trentaine à assister à une des dernières répétions des IDOLES et on sait le tour de force que représente une répétition devant une salle quasi déserte, l'adhésion des spectateurs était pourtant deux mille fois plus intense et vibrante qu'elle ne le sera jamais au Théâtre de France, un soir de gala, salle comble.

Michel Caen PARISCOPE - 2 février 1966

Les « IDOLES » - neuf et insolite

On se plaint qu'il n'y a pas de bonne comédie musicale. Allez au Théâtre Bilboquet et vous ne vous plaindrez plus.

Le talent de MARC'O me plaît. Il ne ressemble à celui de personne. Pour une fois, j'ai vu un ouvrage qui traite de choses réelles et actuelles, une moquerie qui frappe juste sur des bêtises qui font enrager quotidiennement : l'argent, le fétichisme du succès, la publicité, l'imbécilité du public, la superstition de la chance, la moutonnerie des jeunes et la fabrication (assez ignoble) des idoles de la chanson.

Critique Jean Dutourd : FRANCE-SOIR - dimanche 22 et lundi 23 mai 1966.

Les « IDOLES » - féroce et neuf.

L'un des grands mérites de MARC'O, c'est d'avoir redécouvert la comédie musicale, de lui redonner mouvement, rythme, fantaisie, dans la meilleure tradition américaine. Quoiqu'il ait choisi le nom de Marc'O, il reste très français. L'ironie qui l'anime est caustique et le « show » a de la virulence. Ce que Marc'O fait surgir sous les apparences désinvoltes d'un magicien « dernier cri », c'est le vertige inconscient qui conduit toute une jeunesse vers le vide, et le cri qui accompagne cette chute dans le vide.

Critique Jean Paget - COMBAT - 23 mai 1966.

Autres phénomènes notables : des comédiens et des metteurs-en-scène, se préoccupent, en nombre toujours croissant, de faire éclater les structures actuelles du théâtre ... Marc'O, par exemple veut inventer un language dramatique qui ne doive rien à la littérature.

R. Abiracheb : LE NOUVEL OBSERVATEUR - 13-19 juillet 1966.

Cette satire des idoles de la chanson yéyé frappe fort mais juste... Les « IDOLES » est un spectacle vif, audacieux, souvent intelligent ... Roger Igglissis : PLANETE N° 30 - Sept.-Oct. 1966.

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LES ACTEURS

Ils sont tous charmants, tous bourrés de talent.

Leurs gestes les plus stylisés sont les mêmes que ceux des gitans, des noirs, des danseurs.

Si ces acteurs avaient choisi une voie plus facile, ils auraient pu, eux aussi, devenir des « idoles » tant leur façon de chanter, tant leurs gesticulations sont saisissantes de vérité.

Critique Guy Dumur . LE NOUVEL OBSERVATEUR - du 1er au 7 juin 1966.

Les « IDOLES » - haute voltige.

MARC'O a choisi un sujet en or : les idoles, celles de la chanson, celles qui occupent à longueur d'année la une des journaux, les millionnaires du disque, les grands abrutisseurs de la jeunesse. Il faut avoir vu l'action des « IDOLES » pour comprendre mieux que je ne pourrais le dire ce que cette haute voltige a de distrayant.

Critique Guy Dumur : LE NOUVEL OBSERVATEUR - du 1er au 7 juin 1966.

Bulle Ogier :

Comédienne douée d'un talent à multiples facettes. Bulle Ogier sait tout faire : elle chante, danse, peut se montrer charmeuse ou burlesque. Elle a littéralement « explosé » dans les « Idoles » où l'on peut la voir se livrer à une étourdissante démistification des dieux actuels de la chanson yéyé en élucubrante. René Blanckeman - TELE-MAGAZINE - 9 au 15 juillet 1966.

LA MUSIQUE

J'aime que ce soit le fils de Jean Vilar (Stephane Vilar) qui, en collaboration avec Patrick Greussay, ait composé la musique (l'énorme volume sonore) de ce spectacle, une musique déchaînée, un niagara rythmique qui nous possède de l'oreille à la tripe.

Critique Gilles Sandier - ARTS du 25 au 31 mai 1966.

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FRANKENSTEIN

LE LIVING THEATRE

Le « Living Theatre » occupe une place unique dans le théâtre américain.

Depuis bientôt quinze ans, sous la direction de Julian Beck et de Judith Malina, il a maintenu vivant en Amérique l'esprit du théâtre d'avant-garde. Il a résisté à la tentation des succès faciles et « commerciaux » et s'est constamment orienté vers des modes nouveaux d'expression dramatique. Jusqu'à son exil volontaire en Europe, il y a deux ans, il fut la force agissante du Théâtre « Off Broadway » de New York.

Au cours des années, par un travail poursuivi en commun, ses membres ont établi entre eux des relations subtiles et créatrices. Les obstacles qu'ils ont eu à vaincre pendant leurs années d'exil, les ont rapprochés au point d'en faire les composants d'une même famille.

Le « Living Theatre », depuis ses débuts, a traversé la période « réalité rêvée » de Pirandello-Strindberg (« Rêves », « 6 Personnages en quête d'auteur »); l'engagement politico-social de Brecht « Mann est Mann »; « Dans la jungle des villes »; et de Kenneth Brown « The Brig »; le psychisme de l'homme moderne, tel qu'il se manifeste dans les œuvres de William Carlos Williams, Paul Goodman et Genêt; les explorations de la sensibilité américaine moderne (Jack Gelber : « The Connection », « The Apple »; le « Chance Theatre » de Jackson Maclow et Cage; pour aboutir à Frankenstein et à des « Mystères », où se manifeste leur unité dynamique née des œuvres dramatiques d'Artaud et de Brecht, où les manifestations du hasard, de l'improvisation, de la kinesthésie s'associent pour produire un théâtre moderne engagé unique en son genre.

Comme tout théâtre « vrai », celui de Julian Beck et Judith Malina est un théâtre humain, qui ne s'est jamais préoccupé de la « forme » et du style pour eux-mêmes, mais en tant que moyen de révéler, de faire apparaître publiquement la beauté et l'horreur de l'homme moderne. La vérité d'une humanité sans compromis, exprimée par l'art étant souvent intolérable, les réactions suscitées par les créations du « Living Theatre » ont été la plupart du temps violentes et profondes. Frankenstein est un produit et un exemple du travail du « Living » en exil, exil au cours duquel le groupe a perfectionné son style originel. Contraint de se présenter devant des spectateurs ne comprenant pas l'anglais, le groupe a développé un style qui transcende les limites du langage et des nationalités.

En un certain sens, le Living Theatre est sur le point de devenir réellement un théâtre international, ce qui constitue une expérience unique en son genre.

Le « Living Theatre » s'est manifesté avec grand succès, et suscitant des controverses inévitables, en Angleterre, Allemagne de l'Ouest, Italie, Yougoslavie, France et en d'autres pays... Avant de descendre à Cassis, la troupe a joué au Théâtre des Nations à Paris.

Jonas MEKAS.

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FRANKENSTEIN

inspiré par la Nouvelle de

MARY W. SHELLEY

imaginé et mis en mouvement

par JUDITH MALINA et JULIAN BECK

joué par la troupe du

LIVING THEATER DE NEW YORK

DIRECTEURS: Julian Beck

Judith Malina Beck

COMEDIENS: Henry Alan Howard

James Anderson

James F. Tiroff

S. Benjamin Israel

Carl Einhorn

W. Lawrence Howes Shari

Hugh Edwin Burleton Jr

Eugène Gordon Jr

John Theodore

Barry Schuck

Roy Harris Levine

Oliver Boelen

Nona Howard

Dianna Gregory

Melvin Clay

Jenny Hecht

Marvin Silber

Esther Silber

Michèle Mareck

Dorothy Shari

Peter Glaze

Leroy House

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...5,4,3,2, 1 : 0!

Zéro, c'est un rond. On m'enferme au milieu. Scorpion au milieu d'un cercle de feu. Je crie. Le rond se resserre. Je crie. Zéro aux parois lisses et hautes qui se referment, en silence, sur moi. Je crie. Je hurle à la mort. La mort, on l'appelle. Par radar, par radio. Elle accourt.

Cercueil : le couvercle étouffe mes appels.

Croix : des clous s'enfoncent dans mes pieds, dans mes mains. Chaise électrique : assieds-toi! Non. Assieds-toi! Laissez-moi debout. Debout!

Guillotine : sur les yeux, sur les yeux de ma tête déjà enfouie, engloutie, déjà en place pour un dernier shampooing : sur mes yeux, l'image ultime du fond de ce panier d'osier.

Potence : une corde. Une bourrade. La terre qui, sous moi, s'escamote.

Poteau d'exécution : des revolvers. Ils vont cracher. Fire! Fire!

... Ils ne m'auront pas épargné, les miliciens. Rien. Bonjour, Docteur Frankenstein! Tu vas voler mon cœur. Tu prépares ma résurrection. Qu'on descende mon corps pendu! Qu'on me dépouille de ma peau. Que le pinceau redessine mon corps nu. Métamorphose. Les infirmières en deuil qui me « préparent » pour le bloc opératoire. Le laboratoire est construit. J'entends mon sang fonctionner dans les gouttières. Gargouillis de mon sang dans les tuyaux du lavabo.

Sur mon corps déchiré, la grande chaîne chirurgicale s'organise : Paracelse et sa greffe du troisième œil, Freud et sa greffe sexuelle, Wiener et sa folie cybernétique. Les électrodes. On relie mon corps-cobaye aux torturés encore prisonniers de leurs accessoires: cercueil, croix, chaise électrique, guillotine, potence, poteau d'exécution. Disjoncteur. Courant Haut-voltage. Les torturés s'animent. Ils me doivent leur moment de vie. Créatures, pantins. Jeu de massacre dont je suis le roi. L'animateur-né. Mort-né. Vive l'homme!

Je viens de passer une nuit avec le Living Theater, sur les gradins en planches de Cassis. Je viens de descendre aux enfers. De voir ce qu'aucune troupe au monde est capable d'offrir à notre petit confort de spectateur moyen.

Le mot est lâché : spectateur.

Le seul qui ne puisse être prononcé à l'occasion de cette chose. Les « montreurs » de cette apocalypse devraient, je crois, avertir leur monde sous forme de pancartes ou de panneaux signalisateurs : « Attention, pour « Frankenstein », spectateur s'abstenir ». Ou alors sous condition que la messe soit un spectacle. Que le rite pratiqué par quelque secte occulte soit un spectacle. Que magie noire soit un spectacle. Qu'une autopsie de l'humanité pratiquée depuis la nuit des temps jusqu'aux limites du futur soit un spectacle.

A condition que la démarche proposée par les animateurs du Living Judith Malina et Julian Beck soit observée par le « public »...

... Un spectateur sensible aux sourdes beautés d'un certain bruitage, à l'incroyable discipline d'une technique exploitée au maximum (projections, écran, matières modernes), à ce décor de tubulures qui permet la re-création dans le temps et dans l'espace. A cette pleine lune cassidenne ajoutant à l'insolite de ce nouveau voyage au bout de la nuit, une lueur imprévue. A ce culte du matériel — si proche de celui du cirque qui exige de la part des interprètes — j'allais dire : des officiants un art de machinerie particulièrement poussé...

... Et si j'ai pu disposer d'un certain recul pour, au début de cet article, monter sur scène et jouer le jeu au milieu des autres, c'est qu'il me restait justement assez de souvenir en tête pour le faire.

Pierre ROUMEL.

Auteur

Publication [programme de spectacle]

Performance(s) Frankenstein

Date(s) du 1966-11-09 au 1966-11-12

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre