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Théâtre 140: 'Frankenstein'



La Dernière Heure

10-11-1966

Théâtre 140 : « Frankenstein »

Salle archicomble mercredi soir pour le lancement sur la scène de Schaerbeek du célèbre « Frankenstein », imaginé par le Living Theater de New York.

On connaît par le cinéma toute la série des romans et des films d'horreur nés de l'histoire d'un médecin-alchimiste qui construit un surhomme de toutes pièces en utilisant le cœur, le cerveau, les glandes, le sang d'une grande quantité d'hommes et de femmes qu'il a mis préalablement à mort.

C'est le même thème général qui est repris ici mais pour ainsi dire sans scénario, et avec un effort plastique qui tire son origine bien davantage de la chorégraphie que du drame.

Pas de dialogue. Quelques notations mystérieuses, de-ci de-là. Des psalmodies, quelques prières, des cris, diverses incantations et un fleuve de plaintes.

Cela commence par une messe noire. Dix-sept personnages, hommes et femmes mêlés, assis dans l'attitude du fakir tentent par des insufflation de yoga de procéder à la lévitation d'une femme. L'expérience ayant échoué les pèlerins se ruent sur la malheureuse, la capturent, l'enferment dans un cercueil où elle mourra et par étouffement tandis qu'on la transporte autour de la salle. A peine revenus sur la scène les meurtriers sont saisis tour à tour de la folie du crime et ils se tuent successivement tous les uns les autres, en proie à une crise collective d'horreur.

Des alchimistes avaient sans doute préparé cette hystérie sanglante car ils apparaissent bientôt, tandis que les âmes des condamnés appellent la résurrection. Tout ceci faisait partie d'un plan que dirige le docteur Frankenstein, Celui-ci rassemblera ensuite les éléments qui vont le conduire vers la sublimation de la matière humaine au sein d'un

homme qui, par moments, parait hélas sortir d'une bizarre partie de carnaval.

Le merveilleux puisé dans la laideur, dans les contorsions, les hoquets et les cris conduit cette nouvelle chevalerie du Saint Graal vers d'étranges sollicitations du modernise. Tantôt c'est l'automation qui conduit ce bal, tantôt c'est le Minotaure, la mythologie, voire les logomachies sorties de la guerre du Vietnam.

Arrive le moment où le docteur Frankenstein apprend à son surhomme, d'un seul coup, les mots les plus compliqués ou les plus abstraits. Les concepts prennent corps dans le cerveau torturé. Ils se tordent, se roulent, se nouent, rampent, s'ébrouent, s'épanchent, tandis que la conscience fourbue de cette gymnastique descend au milieu d'eux avant d'aller trôner dans les sphères les plus hautes de la résignation.

La création humaine s'éveille cependant peu à peu au langage, à la pensée, aux sentiments, à la raison.

L'ensemble restera de bout en bout fidèle à un expressionnisme par tableaux. Certains de ceux-ci sont nettement trop longs. L'intelligence du spectateur doit se résoudre d'ailleurs à une nourriture très frugale. Ceux qui aiment l'action, les belles réparties, le choc des idées, les rebondissements inattendus ne trouveront rien de satisfaisant dans ce spectacle. Ceux qui aiment la sculpture insolite y applaudiront très certainement d'incontestables mais courtes réussites. La troupe américaine est conduite par le couple Beck. Elle se dépense sans compter pour faire admettre cette conception extrêmement peu usitée d'un théâtre qui ne peut prétendre à une forme élevée puisqu'elle limita son expression à des rudiments.

A.H.

Auteur A.H.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Frankenstein

Date(s) du 1966-11-09 au 1966-11-12

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre