Archives du Théâtre 140


Frankenstein par le Living Theatre de New York



La Libre Belgique

11-11-1966

Au Théâtre 140

FRANKENSTEIN

par le Living Theatre de New York

Le plus troublant dans le cas du « Living Theatre » c'est qu'il a beau reculer les limites du soutenable, on s'y habitue. Depuis « The Apple », depuis « The Connection », en passant par « The Brig » et « Mysteries », nous savons que les admirables comédiens du Living aboient mais ne mordent pas; qu'ils poussent la violence jusqu'au paroxisme mais ne tuent pas ; qu'ils mettent volontiers le feu à la scène mais que ce n'est que fumée ; que, dans le fond, sous leur masque de bourreaux, ils souffrent avec ceux qui souffrent et que, tout compte fait, s'ils ont message c'est, paradoxalement un message de fraternité.

Le Living est plus une secte qu'une trope de comédiens. Il y a chez eux une profonde gravité qui imprègne leur jeu. Ils sont de la race des sacrificateurs plutôt que de la horde des vandales. Et pourtant, on pourrait s'y tromper. Car ils évoluent avec frénésie dans des ruines fumantes qu'ils ont eux-mêmes accumulées. Serait-ce leur faire trop de crédit que de voir derrière ces images de destruction, une insistante protestation, un cri d'alarme. Le « Mane, thecel, pharès » du Livre de Daniel, la menace prophétique qu'une main invisible écrivit sur les murs de Babylone.

Tout ceci parait fort éloigné du brave Frankenstein, le monstre imaginé par Mary W. Shelley et que le cinéma rendit aussi populaire qu'un Père Noël de l'épouvante. C'est que le spectacle de Judith Malina et Julian Beck, les animateurs de Living, retentit d'un bout à l'autre de références à la guerre, à toutes les guerres, aux prisons, aux tortures, aux folies sanguinaires qui s'accomplissent au nom de la politique. Aux injustices sociales aussi. Dans ce contexte, Frankenstein n'est qu'un symbole. Le célèbre épouvantail des films d'horreur représente, pour le Living, le cerveau maléfique capable d'anéantir le monde, après s'être emparé de tous les leviers de commande.

Le spectacle en trois parties a de très grands moments, mais aussi des longueurs, des naïvetés, des scènes inutilement scabreuses. La première partie est la plue extraordinaire par ce mélange de mystère, de technicité, de violence et de rythme. Dans la seconde partie on retiendra « le navire » d'une beauté plastique remarquable. La prison de la troisième partie s'achève dans une apothéose à couper le souffle. Mais le spectacle est long : quatre heures... Ce qu'on retiendra surtout de cette soirée c'est la perfection de la technique de la scène, l'engagement total des comédiens, leur sens de l'architecture scénique, leur discipline corporelle.

Malheureusement, pour certaines scènes, nous devons formuler de sérieuses réserves. Et insister sur le fait que, s'il entre une partie d'improvisation dans leur jeu, nous ne pouvons prévoir comment se dérouleront les autres représentations.

J. S.

Auteur J.S.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Frankenstein

Date(s) du 1966-11-09 au 1966-11-12

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre