Archives du Théâtre 140


Sous le signe du Laboratoire. 'Frankenstein', par le Living Theater



La Cité

13-11-1966

Sous le signe du Laboratoire

« Frankenstein », par le Living Theater

au Théâtre 140

Le Living Theater est cette compagnie américaine dirigée par Julian Beck et Judith Malina Beck qui s'est volontairement exilée des U.S.A. et a déjà donné plusieurs représentations au 140, notamment « The Brig » et un happening, après avoir représenté au Palais des Beaux-Arts « The Connection ».

Le « Frankenstein » qu'elle nous présente aujourd'hui, a été conçu et réalisé par la troupe elle-même. C'est un spectacle qui est incontestablement marqué du style du Living Theater et reflète ses préoccupations et ses tendances. Celles-ci peuvent être définies comme suit : rejet de la tradition occidentale du théâtre d'auteur pour tenter de retrouver le rituel et le cérémonial du théâtre extrême-oriental ; volonté de briser la distance qui sépare la scène de la salle fût-ce en provoquant délibérément le publie ; souci de rejoindre les théories d'Antonin Artaud et de son théâtre de la cruauté.

Il faut dire immédiatement que peu de troupes ont atteint le degré de perfection et de fusion qui distingue celle du Living Theater et cela aussi bien du point de vue de l'interprétation que de la mise en scène et de ce que l'on peut nommer la chorégraphie en prenant ce mot dans son sens le plus large. Car l'objectif est en somme ce « théâtre total » qui a toujours fait rêver les hommes de théâtre.

Hommage étant rendu à la perfection technique du spectacle qui nous est offert sans la moindre bavure, force est bien de constater que cette débauche d'efforts et de talent ne justifie pas le résultat atteint. Qu'il y ait dans ce « Frankenstein » quelques moments de fulgurante beauté, on en convient. De même que l'intention est louable de décrire, à travers le mythe, la gestation difficile d'une humanité en proie à la souffrance (le début du spectacle, avec ses différents instruments de torture « officiels » — garrot, guillotine, corde, chaise électrique, etc. — est comme une récapitulation du mal qui emporte le monde). Mais l'abondance même des images et des bruits finit par entraîner la lassitude. D'autant que le spectacle est terriblement long. La première s'est terminée à une heure trente du matin et lorsque je suis parti jeudi soir au moment du second entracte, il était onze heures vingt! II faudrait pouvoir emporter son pique-nique au théâtre comme on le fait au Japon...

Je crois également que ce théâtre, excepté durant quelques instants éphémères, échoue à renouveler en profondeur le rapport scène-salle qu'il tend à instaurer. Car nous retrouvons ici, et multiplié par les effets nécessairement grand-guignolesques de la représentation, cet illusionnisme qu'on entend dénoncer clans le théâtre traditionnel.

Des spectacles de « laboratoire » sont utiles de temps à autre et notamment pour donner à une troupe cette perfection technique qui est celle du Living Theater en tous les domaines. Mais il ne faut point en abuser : lorsque le moyen devient une fin en soi, l'instrument risque de perdre son utilité.

Il fut un temps où le Living Theater jouait les pièces de Genet, de Brecht, de Pirandello. Que n'y revient-il! Etant donné la qualité de la compagnie, ces représentations, même dans une langue étrangère, seraient fascinantes...

J. L.

Auteur Jean Leirens

Publication La Cité

Performance(s) Frankenstein

Date(s) du 1966-11-09 au 1966-11-12

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre