Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140: 'Frankenstein', un monument de prétention et de mauvais goût



La Lanterne

14-11-1966

Au Théâtre 140 : « Frankenstein », un monument de prétention et de mauvais goût

Sur le plateau du Théâtre 140, les acteurs du « living theatre » sont assis en tailleur, sur deux rangées.

Ils paraissent se concentrer et font de grands efforts de poitrine pour donner l'impression : que leur respiration est haletante. Le micro nous apprend que, trois minutes plus tard, l'un d'eux « lévitera ». Le moment venu, cela rate. Et les autres de tuer celui ou plutôt celle qui a déçu, de l'enfermer dans un cercueil d'où sortent ses hurlements. Et les autres de se battre et d'en choisir qui mourront par tous les moyens connus, qui sur la chaise électrique, qui sur la guillotine, qui sur le gibet, qui même sur la croix. Le tout à grand renfort toujours de cris désagréables. Suit une espèce de célébration de l'office des morts en réduction, un prêtre noir psalmodiant le « kyrie ». Surgit alors le docteur Frankenstein, armé de pinces et de scalpels, de pinceaux et de pots de couleurs, et, après avoir prononcé les noms de Paracelse, Freud et autres illustres savants, parle de l'automation, « contrôle de toutes les activités économiques, sociales et gouvernementales ».

Le micro nous apprend que le susdit Frankenstein va passer à l'exécution d'un « plan gouvernemental » qui, selon telles apparences, tend à une recréation du monde, en tout cas à la régénération d'une société présentement — la belle trouvaille — désaxée et mécanisée. Ce qui en résulte? Le spectacle d'un monde gesticulant, paraissant sous influence de la drogue, au centre duquel se trouve d'aventure un vampire Un succès, aurait dit Cyrano. Ce spectacle quasi sans texte (alors que, je le soutiendrai toujours, le théâtre se fonde sur le texte), il ne s'y trouve que des accidents gratuits dont-, le plus souvent, le sens demeure incertain. Il n'a requis des acteurs, évoluant dans un décor constructuriste à trois plates-formes, aucun art du comédien. Seulement un peu de celui du mime — ici, les expressions sont plutôt de vulgaires grimaces — et beaucoup de celui du gymnaste. Aux yeux de certaines gens, ces contorsions, c'est de l'expression corporelle.

Au terme d'une soirée où l'on n'a vu que des choses laides, tant du côté du jeu que du côté du décor et des vêtements, on fait le bilan, et l'on ne trouve à retenir à l'actif de ce spectacle qui s'est voulu, le malheureux, du théâtre total, que la précision des évolutions des acteurs. Pour le reste, que dire sinon que c'est un monument de prétention et d'imbécillité, de grossièreté et de mauvais goût. Il parait qu'il devrait, ce spectacle, susciter de l'horreur chez les spectateurs, provoquer les protestations de ceux-ci. Mais on ne parvient pas à s'échauffer. C'est tellement bête et cela distille un ennui si pesant que l'on a plutôt envie de somnoler ou, comme cette jeune fille qui était venue à la première munie d'un bilboquet, de se détourner du plateau et de se livrer à son passe-temps innocent...

Robert CHESSELET.

Auteur Robert Chesselet

Publication La Lanterne

Performance(s) Frankenstein

Date(s) du 1966-11-09 au 1966-11-12

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre