Archives du Théâtre 140


'La Musica' et 'Les eaux et Forêts'



La Libre Belgique

5-10-1967

Au Théâtre 140

"La Musica" et "Les Eaux et Forêts"

Ce sont deux pièces très différentes de Marguerite Duras — « La Musica » et « Les Eaux et Forêts » — que présente actuellement, suit la scène du Théâtre 140, la Compagnie René Erouk. La première est la plus connue, sans doute parce que l'auteur l'a portée elle-même au cinéma, plutôt que de se fier à un autre metteur en scène (Resnais, par exemple, pour « Hiroshima, mon amour »). « La Musica » semble bien être l'enfant chéri de Marguerite Duras et on admettra volontiers que son thème est très beau.

Un homme et une femme, qui viennent de régler les dernières formalités de leur divorce, se retrouvent dans un petit hôtel de province, en attendant le train qui les ramènera à Paris. Ils se parlent : des lieux communs d'abord, puis des souvenirs, des demi-confidences, des explications « après coup ». Deux ans après les petites infidélités et les petits désespoirs qui les avaient dressés l'un contre l'autre, ils découvrent que ces méchantes querelles sont apaisées, qu'ils ne s'étaient pas donné la peine de se comprendre, qu'ils s'aiment encore. Mais ils ont noué d'autres liens depuis lors et ne pourraient revenir en arrière sans provoquer d'autres souffrances, ils croient que c'est trop tard, ou trop tôt...

C'est là du théâtre intimiste où chaque mot doit être pesé et où chaque silence a du poids. Le spectateur sincère, qui ne peut pas ne pas être concerné, est d'autant plus exigeant et toute phrase excessive fait figure d'attentat à la pudeur. Le résultat, dans ces conditions, est forcément inégal et quand le rideau tombe, on est partagé entre l'émotion et l'agacement. Tout ce qui est évocation pudique du drame du couple — surtout dans le personnage féminin, psychologiquement mieux étudié — nous touche profondément mais tout excès — les allusions aux tentatives de suicide ou de meurtre passionnel et autres artifices du mélodrame — fait retomber Marguerite Duras au niveau de Bernstein.

Il est vrai que pour défendre un texte et surtout un thème aussi délicat, il faut des interprètes exceptionnels. L' « aura » d'une Delphyne Seyrig et d'un Robert Hossein faisaient peut-être illusion au cinéma. Sur la scène du 140, René Erouk et Claire Deluca ont certainement répondu aux intentions de l'auteur : lui, gauche et maladroit, elle, plus fine, plus réservée aussi. Mais ils ne nous ont pas convaincu.

Les mêmes comédiens jouent ensuite, avec la pétillante Marie-Ange Dutheil, « Les Eaux et Forêts », dont le genre est cette fois farfelu. Il s'agit d'une fantaisie très élaborée à propos de tout et de rien: un chien qui a mordu un passant et deux femmes qui racontent leurs frustrations, la vie qui est triste et la vie qui est gaie, le coq et l'âne, les eaux et les forêts. Il y a quinze ans, cette « pièce-choc » aurait surpris. On ne trouve aujourd'hui dans ces banalités délirantes que le reflet artificiel de ce que l'on connaît déjà : c'est de l'Ionesco sans pathétique, de l'Audiberti sans poésie, du Félicien Marceau sans esprit, du Raymond Devos sans imagination. Et en cherchant un commun dénominateur aux deux pièces réunies en un spectacle, on se demande si le défaut majeur de Marguerite Duras n'est pas l'artifice. Son seul chef-d'œuvre, en somme, est le film « Hiroshima, mon amour »... grâce à Resnais qui est allé au-delà du texte, au-delà du « littéraire » qui sonne faux, au-delà de l'artificiel.

Pour public formé.

J. H.

Auteur J.H.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) "La Musica; Les eaux et les forêts"

Date(s) du 1967-10-03 au 1967-10-08

Artiste(s) Marguerite Duras

Compagnie / Organisation La Compagnie René Erouk