Archives du Théâtre 140


Deux pièces de Marguerite Duras



La Dernière Heure

5-10-1967

AU THEATRE 140

DEUX PIECES DE MARGUERITE DURAS

Après avoir rouvert sa salle avec un programme de « pop music », à l'occasion de la Semaine britannique, Jo Dekmine vient d'entamer le deuxième volet de son activité, le volet théâtral, avec un programme importé du Studio des Champs-Elysées et composé de deux pièces de Marguerite Duras : « La Musica » et « Les eaux et forêts ».

« La Musica », c'est l'ultime rencontre d'un couple qui vient de divorcer. La rareté des trains, dans la petite ville de province où ils ont dû comparaître, les a forcés à faire halte dans l'unique hôtel de la localité. Le soir venu, ils se retrouvent seuls au salon et, forcément, la conversation s'engage. Timide d'abord, banale, inconsistante. Et puis, tout doucement, sans que le ton change, avec les mêmes mots feutrés entrecoupés de silences lourds de signification, ils en viennent aux confidences. Ils se disent des choses qu'ils ont jusqu'alors soigneusement tues. Sur leur vie commune, leurs rêves, leurs médiocres trahisons, leur enfer. Ce sont surtout les malentendus et l'incompréhension qui sont à l'origine de leur divorce. Mais ils le découvrent trop tard, chacun ayant déjà, de son côté, engagé la suite de son existence, laquelle pourtant ne pourra plus, désormais, être tout à fait ce qu'ils en attendaient...

Ce dialogue, c'est un peu comme une musique de chambre, douce, ronronnante, qui n'a peut-être pas en soi une très grande valeur, mais qui vous touche et même, parfois, vous émeut. Le thème est banal. Les mots sont ceux de tous les jours. La situation elle-même n'a rien de particulièrement original. Et pourtant on tend l'oreille pour ne pas perdre une syllabe de cette double et prenante confession.

Dans « Les eaux et forêts », le ton est tout autre. Ici l'auteur de « Moderato Cantabile » nous entraine délibérément dans le domaine du burlesque, tout en usant de moyens à peine différents. En traversant un passage clouté, un passant est mordu par un roquet dont la propriétaire, ainsi qu'une autre dame, témoin de l'incident, l'adjurent de se rendre à l'Institut Pasteur. Lui n'en a pas la moindre envie. Et voilà engagée une conversation que plus rien ne parviendra à arrêter. C'est un caquetage sans queue ni tête où chacun — comme s'il était privé depuis longtemps d'auditeur — libère sans autrement les contrôler tous les mots qui se bousculaient dans sa bouche. Cette sorte de défoulement, qui ne laisse pas de faire penser à Ionesco, amuse beaucoup, même par sa bêtise. certains spectateurs, tandis qu'il en crispe d'autres. Question de tempérament, d'humeur.

Les uns et les autres, toutefois, se retrouvent d'accord pour applaudir les interprètes : Marie-Ange Dutheil, une très savoureuse dame à chien-chien. René Erouk, un divorcé timide et démodé avant d'être un passant mordu délibérément farfelu, et surtout Claire Deluca, qui tient avec une délicatesse et une distinction infinies le rôle de la divorcée, où sa voix de violoncelle et l'expressivité de son regard font merveille, avant de prouver, dans « Les eaux et forêts », qu'elle peut aussi bien susciter le rire que l'émotion.

R.P.

Auteur R.P.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) "La Musica; Les eaux et les forêts"

Date(s) du 1967-10-03 au 1967-10-08

Artiste(s) Marguerite Duras

Compagnie / Organisation La Compagnie René Erouk