Archives du Théâtre 140


'Antigone' par le Living Theatre



La Dernière Heure

14-10-1967

Au 140

« ANTIGONE »

par le Living Theatre

Sur une scène absolument nue, trois acteurs, puis quatre, puis cinq, puis six..., en tenues débraillées, fixent effrontément les spectateurs. Quand ils sont une douzaine, quatre d'entre eux s'affaisent en transes en imitant le hurlement d'une sirène d'alerte. Quand ils sont vingt, et tandis que l'alerte continue, ils partent à l'attaque de la salle en faisant semblant qui de manier une mitraillette, qui d'user d'un fusil à baïonnette. A ce petit jeu, qui dure pendant près d'une demi-heure, il y a un mort : Hémon. On le remonte sur la scène. Enfreignant les ordres de son oncle Créon, Antigone recouvre son cadavre d'un peu de terre...

Ainsi commence cette représentation de l'« Antigone », de Bertolt Brecht et ainsi se poursuit-elle, jusqu'à la fin de l'alerte — pardon : jusqu'au dénouement — qui intervient deux heures et demie plus tard, sans qu'un entracte ait permis à personne de se reposer.

Pour les spectateurs, confortablement installés dans leurs fauteuils, passe encore! Mais pour les acteurs, c'est une épreuve de force peu commune.

Car, bien entendu, l'introduction que nous avons décrite ci-dessus ne constitue pas une exception. C'est très précisément le début d'un spectacle « total » dont tous les participants restent en scène de bout en bout sans être — à l'exception des morts, et encore!... — en repas un seul instant! Il faut, pour faire partie de la troupe du « Living Theatre », une résistance d'athlète, en même temps qu'une solide formation d'acrobate. Il faut aussi savoir chanter, hurler, mimer, danser, exceller en poses plastiques, connaître le yoga et ne pas craindre de franchir, à l'occasion, les limites du bon goût.

Cela donne parfois d'excellents résultats. Il y a, en cours de représentation, des mouvements de ballet de toute beauté et certaines mélopées psalmodiées sont un régal pour l'oreille.

Quant à savoir si cette « illustration » ajoute à la compréhension du « message » que Brecht a voulu insérer dans sa projection de la tragédie d'Antigone, jouée en anglais avec, par ci, par là, quelques mots de français, c'est une autre question...

Personnellement, nous ne nous sommes retiré ni halluciné, ni « culpabilisé » de ce spectacle dont les deux éléments principaux sont les animateurs de la compagnie : Judith Malina, qui a assuré la mise en scène et qui tient avec une conviction que nous voudrions bien partager le rôle d'Antigone, et Julian Beck, un Créon un peu trop souvent clownesque.

R.P.

Auteur R.P.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Antigone

Date(s) du 1967-10-13 au 1967-10-22

Artiste(s) Brecht

Compagnie / Organisation The Living Theatre