Archives du Théâtre 140


Le Living Theatre de New York au '140'. Une 'Antigone' gymnique et respiratoire



Le Peuple

16-10-1967

Le Living Theatre de New-York au « 140 »

Une « Antigone » gymnique et respiratoire

C'est la troisième fois que le Living Theatre de New York revient au théâtre 140. Après les « Mysteries » et « Frankenstein », il se lance dans le théâtre antique avec une « Antigone » qu'il annonce brechtienne et qui l'est très peu.

Pour ceux qui revoient le Living pour la troisième fois, le pouvoir de choc demeure-t-il intact, comme ce fut le cas lors de la présentation du happening « Mysteries »? C'est peu probable. En tous cas, l'attitude de la salle au début du spectacle paraît symptomatique à cet égard. Alors que les spectateurs s'installent encore — il est plus de 20 h 30 mais on commence volontiers en retard au 140 — les comédiens sont déjà sur la scène. Ils observent le public mais celui-ci au lieu d'être impressionné comme il le fut jadis sous la fixité des regards, continue son bavardage en attendant que « ça » commence. A peine si les conversations s'interrompent un instant

lorsque de longs hululements imitant le bruit de sirènes d'alerte envahissent la salle.

Et pourtant, à ce moment-là, le Living Theatre entrait dans le vif de l'action, celle du conditionnement du public. Encore faut-il que ce public se laisse conditionner aussi grossièrement. Cette fois, ce ne fut pas le cas.

On sait que l'essentiel de la philosophie théâtrale du Living repose sur la primauté de l'expression physique sur le verbe. Le texte est accessoire lorsque le visage, le corps, les cordes vocales peuvent exprimer l'angoisse, la peur, la terreur, le mal, l'érotisme, l'amour. Mais l'expression demeure forcément sans nuances et pour mettre en scène cette « Antigone » douce, pure, ferme, symbole de l'amour filial et fraternel, les nuances sont une richesse dont l'expression peut difficilement se passer.

A moins que pour mieux frapper l'imagination on ne crédite le Living d'un choix délibéré de simplification, ne gardant que le thème du danger du pouvoir tyrannique de Créon, roi de Thèbes, l'enchaînement implacable de la violence qui entraîne inexorablement la violence jusqu'à la destruction finale. « Any one who uses violence against his ennemies bill turn and use violence against his own people ». « Quiconque utilise la violence contre ses ennemis retournera cette violence contre son propre peuple », répète-t-il à plusieurs reprises.

Et à l'appui de cette image d'anéantissement final, des bruits divers, bizarres, des cris, des yeux révulsés, des contorsions, une véritable opération gymnique et respiratoire parfois convaincante — dans les tableaux d'ensemble notamment, les orgies bacchiques et les scènes de bataille — parfois irritantes car injustifiée et assourdissante.

Au total — il s'agit en effet d'un spectacle total de deux heures et demie sans interruption — on quitte le 140 assez perplexe, plutôt abruti, vaguement admiratif pour ces comédiens qui ont la faculté de crier et de gémir comme vous et moi faisons la conversation, mais pas très convaincu de l'utilité de tout cela. Sans oublier que dans ce charivari de fin du monde, Julian Beck et Judith Malina racontaient l'histoire de Créon et d'Antigone. Quelle Antigone, celle de Brecht, celle de Sophocle, celle des livres d'Histoire? Personne ne le sait.

Chris L.

Auteur Chris L.

Publication Le Peuple

Performance(s) Antigone

Date(s) du 1967-10-13 au 1967-10-22

Artiste(s) Brecht

Compagnie / Organisation The Living Theatre