Archives du Théâtre 140

Les Beaux-Arts

21-10-1967

par Jean Leirens

ANTIGONE REVUE PAR BRECHT ET LE LIVING THEATRE

"The Brig", "Mysteries", "Frankenstein" et à présent l"Antigone" de Bertolt Brecht : le Living Theatre de New York qui a dû s'expatrier est en passe de devenir une institution dans notre vie théâtrale. On aurait tort de s'en plaindre, car quelles que soient les réserves que l'on puisse formuler quant aux méthodes de cette troupe, il est incontestable que ce théâtre-laboratoire tente des expériences passionnantes et que, sur le plan de la réalisation et de l'exécution, il atteint au plus haut niveau de qualité.

On sait que le Living Theatre dont les activités se situent dans la ligne des théories d'Antonin Artaud, favorise le spectacle aux dépens du texte. Cela reste vrai dans le cas de cette "Antigone" (adaptation très libre de Bertolt Brecht de la tragédie de Sophocle) où le texte sert en quelque sorte d'articulations aux différentes phases de la représentation. Comme dans les autres spectacles du Living Theatre, la représentation où Judith Malina incarne Antigone et Julian Beck compose un inoubliable Créon, fait appel à toutes les ressources visuelles et auditives dans le dessein de créer un art total. Chant, chorégraphie, cris, larmes, respiration, grimaces, tout conspire à nous plonger dans un climat qui relève de la fête primitive et se présente le plus souvent sous la forme d'une obsédante liturgie.

Ce cérémonial ne laisse pas de produire un effet de choc sur les nerfs du spectateur, mais il serait injuste de ne pas souligner la beauté qui, par-delà la provocation, jaillit souvent au cours de cette représentation. Elle est essentiellement due à la perfection et à la rigueur des moyens utilisés.

Le public du 140 a longuement acclamé les comédiens du Living Theatre qui ont eu la délicate attention de réciter en français certaines parties du texte.

J.L.