Archives du Théâtre 140


Claude Nougaro. Le merveilleux cri du mal-aimé mais aussi Pierre Barouh et Normando…



Le Soir

17-11-1967

CLAUDE NOUGARO

Le merveilleux cri du mal-aimé

mais aussi Pierre Barouh et Normando…

Avant tout, une précision : contrairement à ce que nous indique une certaine publicité, il n'apparaît pas tellement, à première vue, que Claude Nougaro soit le « poète gitan de la chanson ». Fils naturel de Serah Vaughan et de Stan Getz, Nougaro appartient plutôt à la grande famille du jazz ; ce qu'il ne cesse du reste de clamer avec cette fureur propre aux mal-aimés. Qu'il ait plus de talent véritable et de personnalité que (ici vous pouvez insérer n'importe quel nom de grande vedette)..., voilà qui saute aux oreilles. Pourtant, Nougaro inquiète, dérange, désarçonne... Ce « petit taureau noir qui est entré dans la noire arène du disque » ne recevra jamais les oreilles ou la queue. C'est parce qu'il en est conscient qu'il frappe dur. Conscient qu'il n'aura jamais droit, « pour ceux de jazz à la popularité, conscient que son combat désespéré ne passionnera jamais que quelques initiés. Parce qu'il ne chante que ce qu'il aime et parce qu'il aime figer les foules dans l'indifférence, personne, « dans le métier », ne croit plus en lui, alors même qu'il n'a pas changé et que son style a acquis maintenant une rigueur et une force de frappe qu'il n'avait pas à l'époque où éclatèrent « Le cinéma », « Une petite fille » ou « Les don Juan ». Boudé, in compris, solitaire, Nougaro n'en poursuit pas moins la bataille qu'il a engagée et qu'il pressentait sans issue. On n'ose croire ceux qui assurent qu'il n'y a à Bruxelles que cent amateurs prêts à tout pour faire partager l'admiration qu'ils portent à ce « drogué du rythme ». Serait-il vrai, décidément, que l'on ait très mauvais goût à Bruxelles? Que l'on passe toujours à côté de l'événement? Que l'on y étale complaisamment, son inculture, son indifférence, son snobisme?

L'apparition de Claude Nougaro nous aidera à faire le point, à faire nos comptes. Car oser dire que l'on aime la chanson et ne pas aller voir Nougaro constitue très précisément cette sorte de paradoxe dont finiront par périr les véritables auteurs...

***

Pour le reste, M. Dekmine a composé un programme remarquablement bien charpenté qui, chapeauté d'un titre qui, s'il ne signifie pas grand-chose (« Bossa nova jazz à Montparnasse »), n'en comporte pas moins quelques moments intéressants. Le « chabadabada » de Pierre Barouh a fait beaucoup pour le triomphe mondial d' « Un homme et une femme ». Justifie-t-il pour autant le battage énorme orchestré autour d'un interprète assez mièvre mais dont le charme subjugue, nous assure-t-on, minettes et bobonnes? A notre avis, non, encore que nous serons les premiers à reconnaître que Barouh est, dans son genre, un pionnier puis qu'il a tenté de relancer — hélas sans succès — cette merveilleuse « bossa nova » que le grand public refusa de plébisciter. Novateur habile et auteur ambitieux : tel se présente Barouh, lequel a, par ailleurs, suffisamment d'intelligence pour se rendre compte qu'il ne sera jamais un interprète particulièrement fracassant. Pareille humilité est trop rare dans Cabotinville que pour ne pas être citée en exemple...

Le public, plus que jamais « in » et qui adore frénétiquement tout ce qui défile sur les tréteaux de l'avenue Plasky, a également réservé un très confortable succès à Nicole Croisille, première chanteuse de jazz française (avec Christiane Legrandi) […] Mlle Croisille est beaucoup moins convaincante dès l'instant où elle se risque à reprendre des chansons américaines.

Deux conseils enfin :

1) Il est essentiel d'arriver en début de spectacle car M. Dekmine nous offre une merveilleuse révélation en la personne de Normando. Sous ce nom d'illusionniste ou de manipulateur se cache un des plus extraordinaires chanteurs « naturels » que nous ayons jamais entendus. Ce qu'il fait est pratiquement inégalable. Retenez ce nom, s'il vous plaît : Normando. On en reparlera...

2) Le monsieur qui est assis au piano possède (indépendamment de ses chaussettes rouges) un immense talent, pratiquement sans égal en Europe. Il s'appelle Maurice Vander. Vous serez bien inspirés en l'applaudissant très fort car M. Vander est un des rares pianistes de jazz qui se hisse sans peine au niveau des plus grands.

H. L.

Auteur H.L.

Publication Le Soir

Performance(s) Bossa-Nova Jazz à Montparnasse

Date(s) du 1967-11-15 au 1967-11-19

Artiste(s) Claude NougaroPierre BarouhNicole CroisilleMaurice VenderNormando

Compagnie / Organisation