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'Il n'y aura plus d'arbres'



La Dernière Heure

29-11-1967

THEATRE 140

« Il n'y aura plus d'arbres »

Il n'y aura plus de maisons non plus! Plus de routes, plus d'autos, plus de villes. Il ne restera que quelques pierres, les colonnes d'un temple, quelques hommes et quelques femmes qui seront toute l'humanité. Car la fête aura passé par là.

La fête, c'est la guerre. On ne dira jamais son nom. Mais chacun ne sait-il pas qu'on passe d'une cérémonie à l'autre?

Chacun sait que la fête n'arrête plus. « Ce sera bientôt ta fête » : nous en serons tous!

Sur la scène quelques pierres évoquent les cités disparues et sans cesse reconstruites.

Sont-ce là les restes d'Adua, de Babylone, de Sodome, de Gomorrhe, de Carthage? Ce sont les ruines d'aujourd'hui et celles de demain.

Rufus, l'auteur, use, en effet, de la même technique que les peintres surréalistes. A la manière de Magritte, il choisit des morceaux d'humanité qu'il ramasse parmi les ruines comme les pièces d'un vase brisé. A la manière de Delvaux il arrête aussi la notion de temps. Ainsi trouvera-t-on dans le même voisinage une princesse de 1780, un chauffeur parisien actuel, et une amante début de siècle dont l'accent trahit ses origines allemandes. Les personnages ont d'ailleurs souvent cet air absent des personnages de Delvaux. C'est qu'ils sont hors du temps, rassemblés pour la fête.

Car elle vient. On vit sous sa dépendance, dans son haleine. La foule immense qui subit son festin tente vainement de comprendre pourquoi elle va venir. Au contraire, elle n'écoute pas souvent son bruit approchant, ici, un étudiant réclame un livre prêté qu'on ne lui a pas rendu: là, une mégère poursuit « ceux qui pensent mal »; là-bas, c'est la querelle des stationnements; le souci des parents « parce que Julot arrive en retard à l'école et met encore ses doigts dans son nez » ; là encore, ce sont les grèves, les amants tragiques, les émeutes, le marché noir, un innocent qui se croit artiste et un artiste qui voudrait retrouver l'innocence.

Tout cela est plein' d'humour, de pataquès, de contresens, d'allusions comiques, de répliques inattendues. Cela fait penser à Chaplin et à Obaldia, à Mallarmé devenu Bernard Shaw, à une Messe du Temps Présent exprimée avec d'autres moyens que la chorégraphie. On souhaiterait d'ailleurs, au milieu de ces ruines où le temps s'arrête, voir apparaître la petite Japonaise de la troupe de Béjart, dansant un menuet d'Hiroshima.

Langage poétique, comique des reparties, mélancolie d'un fond romantique : tout se termine par un tableau saisissant qui sublime la mise en scène (extrêmement dépouillée) de Jacques Higelin.

C'est un succès total.

Rufus et Jacques Higelin ont déjà connu le succès à Bruxelles avec « Maman, j'ai peur ». Cette nouvelle oeuvre est une création avant Paris qui fait grand honneur à Bruxelles.

On ne peut qu'applaudir le jeu de Patricia Saint-Georges qui se sert fort bien de sa longue chevelure, celui — très violent — de Pierre Pernet et Philippe Egrand, le charme et l'extraordinaire accent d'Irène Schell, la sensibilité de Rufus, la verve naïve de Jean-Pierre Dutour.

Certains ont moins aimé la marionnette de Georges Tournaire. Elle répond bien cependant au rythme mystérieux du Jardin Secret où se réfugie un innocent. Le spectacle mérite un succès incontestable.

— A.H.

Auteur A.H.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Il n'y aura plus d'arbres

Date(s) du 1967-11-28 au 1967-12-02

Artiste(s) RufusJacques Higelin

Compagnie / Organisation