Archives du Théâtre 140


'Il n'y aura plus d'arbres'. Sans queue ni tête. Mais touchant…



Le Soir

30-11-1967

UNE CREATION AU THEATRE 140

« Il n'y aura plus d'arbres »

Sans queue ni tête. Mais touchant…

C'est du théâtre en pleine liberté! Du théâtre fou, farfelu, hybride, fragmentaire, avec des bouts de dialogue, des fantômes de scènes, des esquisses de situations dramatiques, cousus les uns aux autres, à la fois capricieusement et grossièrement, comme les pièces d'étoffe d'un costume d'Arlequin. Cela n'a ni rime ni raison, cela touche à tout, et à rien, c'est incompréhensible et trop clair, c'est en même temps cocasse et angoissant. Bref, c'est du théâtre d'aujourd'hui. Ou plutôt de demain, car Rufus, l'auteur de ce spectacle, franchit un grand pas de plus qu'Ionesco et son école dans la voie de l'absurde et de l'informel.

Eh! oui, il faut se résigner : c'en est fini des intrigues claires, des personnages bien campés, des leçons faciles à tirer. Maintenant, on navigue dans la brume littéraire, dans le vague érigé en système, dans l'inintelligible c o n s i d é r é comme uns des beaux-arts. On ressent au théâtre de petites secousses, on y a de petits accès de rire, la poésie y fait de brèves apparitions et des semblants de drame vous fascinent un instant. Mais ne cherchez point la densité, la continuité, et ne croyez pas que vous puissiez dire : « Tout le spectacle était bon » ou « J'ai été conquis d'un bout à l'autre ». Le théâtre contemporain n'est valable que par tranches, comme le saucisson...

Ceci dit, on reconnaîtra avec plaisir que, dans son genre, « Il n'y aura plus d'arbres » est une réussite. Il y a de l'invention comique, de la sensibilité, des reparties troublantes dans cette pièce évidemment inanalysable. Et surtout il y a Rufus, l'auteur-acteur qui amuse ou émeut dès qu'il paraît en scène. Il a des airs de Bourvil. Un Bourvil qui ne serait pas Normand. C'est-à-dire qu'on trouve en lui une naïveté foncière, une gentillesse naturelle, une fragilité et une vulnérabilité qui le rendent tout de suite sympathique.

Ik est ici une sorte d'idiot du village, un « garçon à la clarinette d'argent »... qui ne sait pas jouer de la clarinette. Et qui va se trouver confronté avec l'amour, les préparatifs de guerre, la mécanisation, l'absence de Dieu, la folie du monde contemporain. Il est timide gauche, confiant, maladroit. Et ses réactions devant les grands mystères d'aujourd'hui (et de toujours) nous valent des scènes délicatement humoristiques.

Ses cinq compagnons : Irène Schell, Patricia Saint-Georges, Jean-Pierre Dutour, Philippe Engrand et Pierre Pernet jouent bien dans les tons successivement saugrenu et onirique. Et il faut évidemment féliciter Jacques Higelin (un des co-auteurs, avec Rufus, du si intéressant psychodrame « Maman, j'ai peur ») pour la mise en scène aérienne et cocasse qu'il a imaginée. Enfin, la sympathique marionnette de Georges Tournaire apporte un dépaysement supplémentaire à cet original spectacle français que le théâtre 140 nous aura révélé avant qu'il ne soit créé à Paris.

André PARIS.

Auteur André Paris

Publication Le Soir

Performance(s) Il n'y aura plus d'arbres

Date(s) du 1967-11-28 au 1967-12-02

Artiste(s) RufusJacques Higelin

Compagnie / Organisation