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En route pour l'an 2000. Quelques réalisateurs indiquent les voies d'un théâtre neuf



Les Beaux-Arts

7-12-1967

En route pour l'an 2000

Quelques réalisateurs indiquent les voies d'un théâtre neuf

II y a eu le temps où l'auteur était le personnage le plus important du théâtre. Il y a eu le temps où c'était l'acteur. Aujourd'hui, le metteur en scène prend une place prépondérante. Un jeune metteur en scène belge dit ici ce qu'il considère comme le vrai théâtre moderne dans le monde.

Le théâtre moderne contemporain n'est pas forcement « moderne ». Très peu de spectacles « modernes » se jouent sur nos scènes de Bruxelles, de Paris et du monde. Comme — en proportion — très peu de tableaux « modernes » ornent les parois des demeures de nos bourgeois du XXe siècle.

Le Théâtre, Art vivant par excellence, tel que nous l'abordons quotidiennement, s'est pelotonné dans un écrin doré de valeurs acquises. Depuis Stanislawski, pratiquement rien n'a changé. Certes, il était un maître incontesté, génial théoricien et praticien de l'art dramatique; Rubens, dans son art, l'était aussi, de même Eisenstein…

La tendance dite moderne qui, de nos jours bat tous les records, s'applique uniquement à perfectionner les méthodes Stanislawskiennes. Par tous les moyens, y compris les moyens financiers, les metteurs en scène en vogue qui se disent d'avant-garde déploient techniques modernes sans justification aucune, dans le but d'épater le public, tout en oubliant l'essentiel : le travail avec et de l'acteur. En effet, ce qui ne change pas, c'est l'Art du comédien : les conservatoires enseignent toujours — depuis bientôt soixante ans — la méthode de Stanislawski le Grand, l'Intouchable. Et c'est là que le bât blesse.

Dans le cadre de mon article, j'élimine a priori ce théâtre contemporain qui se voudrait moderne, mais qui finalement, se compose de tout ce qu'il y a de plus conventionnel, de plus banal et de plus médiocre, théâtre « tape-à-l'œil » qui sert de pain aux masses affamées de culture dans ce monde de plus en plus commercialisé.

Mon intérêt s'adresse en premier lieu au vrai théâtre de recherche. Et je ne m'arrêterai que brièvement aux tentatives honnêtes mais insuffisantes de personnalités ou ensembles connus et moins connus du monde international du spectacle. Les grands succès retentissants, cela va de soi, ne pèsent pas dans cette balance de valeurs (très personnelle, j'avoue).

D'autre part, je considère ici le théâtre moderne contemporain uniquement à travers les lunettes d'homme de théâtre praticien, basant mon échelle de valeurs sur les aspects : mise en scène, jeu des acteurs, message éthique.

Je passe rapidement sur cet aspect tout aussi important (j'en suis parfaitement conscient) du théâtre, qui est le texte. Je demande pardon aux H. Pinter. H. Brecht, H. Ionesco, A. Gatti, J. Genet, S. Beckett, I . Dürrenmatt, J. Arden. E. Albee, P. Weiss, V. Havel, P. Hacks et Co., de glisser furtivement, et sans m'accrocher le long de leurs fort intéressantes personnalités de littérateurs dramatiques. Ils font incontestablement partie intégrante de ce théâtre qui s'achemine vers l'an 2000, mais je laisse à d'autres le soin — et la compétence — de parler de la Dramaturgie contemporaine. Je me réserve le rayon de la réalisation pratique, audio-visuelle, émotionnelle, spectacle vivant confronté avec un public de nos jours.

Les figures de proue de ce théâtre à la recherche d'un renouveau artistique sont sans aucun doute :

a) Jerzy Grotowski (Théâtre Laboratoire Wroclaw);

b) Julian Beck - Judith Malina (« Living Theatre »);

c) « Open Theatre », New York.

Jerzy Grotowski.

Dans ce même journal, il y a quelques mois, j'ai parlé longuement des travaux de recherche effectués par Grotowski en Pologne. Depuis quelques années, son théâtre a suscité bien des confusions. Ecartons d'abord l'une d'entre elles, consistant à considérer le Théâtre Laboratoire comme un théâtre expérimental. Il est totalement erroné de donner ce qualificatif à un théâtre qui, depuis huit ans et avec un esprit de suite et une logique extraordinaire, forge sa propre vision du théâtre, une vision étayée par de profondes réflexions théoriques et méthodiques. Si l'on peut parler de recherches dans ce théâtre, c'est uniquement au sens où tout art exige de constantes recherches. La notion de théâtre-laboratoire définit exactement le caractère de l'entreprise de Grotowski : il ne s'agit là que d'une expérience dont la portée est forcément limitée, une expérience n'ambitionnant point de créer un modèle applicable généralement dans le théâtre contemporain. Pourtant, les recherches de Grotowski mettent en question plusieurs principes établis dans le théâtre traditionnel et posent le problème de la place qu'occupe le théâtre dans la civilisation d'aujourd'hui sur un plan plus large que celui de sa propre expérience.

Les représentations ne constituent pas, comme notre public aurait tendance à le croire, le but essentiel du Théâtre Laboratoire; à ceux qui s'intéressent de plus près aux buts et méthodes de Grotowski, je conseille l'étude du livre d'Eugenio Barba : Alla ricerca del teatro perduto (Marsilio Edittori - Padoue 1965).

Les textes à partir desquels s'élaborent les spectacles contiennent les grands mythes de la Culture Européenne et Polonaise, ces mythes étant confrontés avec l'expérience contemporaine, en line sorte de « test de vitalité, de pérennité ». Ce Théâtre Laboratoire se révèle traditionnaliste autant que blasphématoire, le sens du spectacle étant engendré par la tension qui existe entre la forme du mythe fixée dans l'imagination sociale et ses valeurs contemporaines.

Le jeu des acteurs est ici un art difficile, épuisant et sincère, une sorte d'holocauste qui rend soudain suspect, sinon indigeste, le jeu de la plupart de nos comédiens qui ne réussissent point à dépasser la tradition, à faire de leur jeu, par moments du moins, une offrande religieuse. Roger Planchon n'est pas d'accord sur ce point (et sur bien d'autres). Il admet que Grotowski ait trouvé une écriture scénique nouvelle qui possède une cohérence interne. « Grotowski a ouvert une porte, mais elle reste fermée au théâtre traditionnel. On ne lui empruntera rien : les comédiens qu'il a formés sont merveilleux pour tenir le discours de Grotowski mais, à part un ou deux, extrêmement faibles dans le théâtre dit traditionnel. En abandonnant le texte, le dialogue, ils ont découvert des terres inconnues. Mais le jour où ils abandonneront ces terres inconnues. ils abandonneront aussi les découvertes qu'ils ont effectuées ».

Cette citation de Planchon, ambiguë et imprégnée d'amertume, ne résiste pas à l'examen. Pour comprendre le théâtre de Grotowski, il n'est pas nécessaire de connaître le polonais et pourtant, il y a texte, il y a dialogue, plus peut-être que dans n'importe quel autre théâtre! La valeur de Grotowski réside précisément dans le fait d'avoir inventé, en dehors des sentiers battus, un langage universel, une sorte d'espéranto dramatique. Et je puis assurer M. Planchon que d'ici peu, le théâtre dit traditionnel de l'an 2000, ira emprunter avec beaucoup d'empressement, à l'héritage de Grotowski; parce qu'il est le seul successeur digne d'Antonin Artaud: il a réussi à transformer la théorie du "surpassement" dans la réalité des corps.

« Living Theatre »

Les mêmes raisons qui animent Grotowski ont poussé Julian Beck et Judith Malina, animateurs du « Living Theatre », à détruire la cérémonie théâtrale traditionnelle. Cette troupe qui existe depuis 1951, et par là se trouve être la plus ancienne troupe non commerciale « Off-Broadway », a obtenu en 1961 le « Grand Prix du Théâtre Recherche » au Théâtre des Nations. Il y a deux ans, le « Living Theatre » nous montrait, poussant le naturalisme à un degré si extrême qu'il en devint surréaliste, hallucinant, une prison des Marines au Japon, au camp de Fugi. (« The Brig », de Kenneth Brown.) Le film de Fr. Reichenback nous a révélé l'entraînement barbare auquel ces hommes acceptaient d'être soumis. Nous savons quelle glorieuse besogne accomplit en ce moment, au Vietnam, ce « corps d'élite »… La représentation du « Living Theatre » reflète un immense dégoût. Théâtre engagé, donc? Certainement, mais pas uniquement. Dans l'article qui suit et que je consacre exclusivement à cette troupe, j'essaie d'analyser les buts envisagés et le rôle joué par J. Beck et J. Malina. Eliminons dès à présent le reproche dont certains les accablent: le « Living Theatre » ne pratique pas le happening, élucubration bâtarde de l'Art dramatique. Ses représentations restent jouées, donc contrôlées.

L'énorme retentissement de « Qui a peur de Virginia Woolf » d'Edouard Albee et de « Marat-Sade », de Peter Weiss a ressuscité l'intérêt pour un genre dramatique qui semblait être sur le point de sombrer dans l'oubli: le psycho-drame.

Le psychodrame

C'est une méthode de psychothérapie de groupe, un art de guérir pratiqué actuellement « à huit clos » dans certaines cliniques psychiatriques des U.S.A.

Tout a commencé à Vienne, dans les années folles de l'expressionisme allemand, entre 1910 et 1925. Jakob Levy Moreno (juif roumain, né en 1892 à Constanza), éminent psychiatre, poète, homme de théâtre et de sciences y tenta ses premières expériences basées sur la puissance de la spontanéité. A l'opposé de Sigmund Freud, il entreprit de guérir de petits groupes par le pouvoir thérapeutique du psychodrame.

Moreno définit le psychodrame de la sorte: « C'est la méthode qui permet de découvrir la vérité de l'âme par l'action créatrice » - « Agir guérit mieux que parler » est la phrase-clé du psychiatre, tout comme celle de la dramaturgie. Aux paroles de Freud, Moreno oppose l'action. « A la recherche de l'espace concret, vécu », pour employer un langage proustien.

Moreno perce le traitement individuel de la psychanalyse pour traiter l'homme comme partie intégrante d'une société, d'un groupe.

Il considère la spontanéité comme une force vitale motrice, plus puissante que la sexualité ou d'autres formes instinctives. La spontanéité est très solidement reliée à la créativité; avoir découvert en elle une vertu thérapeutique, voilà le mérite du psychiatre Moreno.

Lors de ses études de psychiatrie à Vienne, Moreno se brouille avec son maître, S. Freud, qui réfute catégoriquement la possibilité d'une thérapie de groupe. En 1911, Moreno rassemble sans les parcs de Vienne les gosses qui y gambadent et les fait jouer de petits drames. En 1913-1914, il crée « L'Association des prostituées viennoises », il étudie les réfugiés Sudètes au camp de Mittendorf. En 1921-1923, il crée une troupe théâtrale amateur et fait publier des écrits théoriques, résultats de ses recherches sur le psychodrame.

Bientôt, le but de Moreno se précise: le psychodrame s'efforce d'utiliser à des fins thérapeutiques, la katharsis aristotélienne qui peut se dégager de n'importe quelle action dramatique.

Dans les années 30, Moreno se voit obligé, devant le raz de marée du nazisme envahissant, de fuir l'Autriche pour les U.S.A. C'est au St. Louis State Hospital qu'il continue ses recherches, qui s'infiltrent bientôt dans les milieux littéraires et dramatiques.

Ce sont surtout les dramaturges américaines qui se sont mis à écrire des psychodrames. Le chef-d'oeuvre en est sans aucun doute le fameux huis clos d'Edouard Albee. Plus récemment, la pièce de Jean-Claude Van Itallie Amerika Hurrah, confirme l'existence d'un nouveau théâtre aux U.S.A., dont la troupe « Open Theatre » est le porte-voix.

« Open Theatre »

« L'Open Theatre » est issu en ligne droite des méthodes de Moreno et celles du « Groupe Theatre ». Quand le gouvernement U.S.A. força le « Living Theatre » à l'exode, ce furent précisément deux de ses collaborateurs, Joe Chaiken et Peter Feldman qui assumèrent immédiatement sa relève en fondant en 1963 le « Open Theatre workshop ».

Le « Open Theatre » n'est pas un théâtre au vrai sens du mot: c'est un workshop qui réagit violemment pour essayer de sortir de l'impasse dans laquelle languit le théâtre américain. Dans les années 1930, le « Group Theatre » s'acharna à expérimenter un style adapté à la vie américaine d'alors, mais ses principaux acteurs et dramaturges furent rapidement achetés et exploités par le trust Hollywoodien qui leur offrait le luxe et la vie facile. Après la deuxième guerre mondiale, les survivants du « Groupe Theatre » (Lee Strassberg, Elia Kazan) fondèrent l' « Actors Studio », basant leur système d'enseignement sur un amalgame bizarre, issu des méthodes des Stanislawskiennes et de celles de J.-L. Moreno. Les résultats furent assez étonnants, puisque sortirent de cette école des M. Brando, M. Monroe, James Dean et autres.

La tentative de recherche de nouvelles formes fut reprise par le « Living Theatre », qui travaillait selon une méthode assez éclectique. Au début, J. Beck et J. Malina suivirent les pas de Stanislawski, Meyerhold, Brecht et Artaud, avant de trouver, par synthèse, leur style personnel. Au moment où le succès commençait à poindre, ils préférèrent fuir en Europe, plutôt que de passer un certain temps à coler des sacs dans les prisons d'Etat. Joe Chaiken et Peter Feldman fondèrent aussitôt le « Open Theatre ». Dénomination choisie pour annoncer leur ouverture à l'expérience, leur désir de rechercher des formes nouvelles d'Art dramatique, et d'ouvrir les corps et les esprits des acteurs aussi bien que des spectateurs.

En septembre 1963, la bataille s'engage : une fois par semaine, la troupe montre à un public de hasard, le résultat de ses exercices, de ses discussions.

Dès la fondation, les contacts humains entre les membres de la troupe acquièrent une bien plus grande importance que les succès et la production artistique.

Les règles de base du « Open Théâtre » sont les suivantes :

1) prédominance absolue à l'entraînement de l'improvisation;

2) conservation et développement artistique d'un ensemble fixé;

3) les pièces qu'écrivent les dramaturges associés au workshop (dont le plus significatif est Jean-Claude Van Itallie) devront permettre aux membres de la troupe de déployer en toute liberté leur propre style de jeu);

4) les metteurs en scène travaillent selon un accord, en permanence et exclusivement avec l'ensemble du « Open Theatre »;

5) le travail est dominé par le rêve, le mythe, la fantaisie, la poésie, le rituel et la confrontation avec les aberrations sociales;

6) le psychodrame de groupe est le moyen le plus efficace pour obtenir les résultats envisagés.

Après deux années consacrées à de petites pièces et exercices d'improvisation (accessibles au public), le « Open Theatre » obtient ses premiers succès avec Le procès de Julian Beck et Viet Rock en 1965 et 1966.

Et enfin, la réalisation de Amerika Hurrah, de l'auteur-maison Jean-Claude Van Itallie hisse le « Open Theatre » au premier rang du théâtre de recherche, et le consacre digne remplaçant du « Living Iheatre » sur sol américain.

En cette tête de course, Grotowski bat le « Living Theatre » d'une bonne longueur, le « Open Theatre » d'une dizaine de mètres. Suit un petit peloton, comptant des valeurs sûres et quelques faibles promesses et loin derrière, le gros peloton des serviteurs, des figurants sans nom. Ce dernier arrivé en dehors des délais réglementaires, disparaît dans l'anonymat. Et c'est bien ainsi.

Les valeurs sûres.

Ce sont des metteurs en scène, travaillant individuellement et pratiquant généralement le système du théâtre total. Leurs travaux ne possèdent point ce caractère expérimental, pour la simple raison qu'ils exploitent leur talent à des fins commerciales. Le commerce doit rapporter, tout risque est à éviter. Je ne m'attarde point sur ces hommes de théâtre, de valeur certes, mais arrivés à un état de perfection dans lequel ils se sont installés bien confortablement, sans éprouver le besoin vital d'élargir leurs premières recherches, celles qui forgèrent leur renommée — et leur valeur commerciale.

En Allemagne, Benno Besson, Peter Zadek et Peter Palitzch ont pris intelligemment la relève de Brecht et Piscator. Pourtant, un fameux duo semble surclasser bientôt ce trio vedette, pour s'acheminer vers un théâtre de recherche de grande valeur : ce sont le metteur en scène Hamsgünther Heyme et son décorateur Wilfried Minks. Ils ont réalisé ces dernières années des spectacles qui, par leur folle audace expérimentale, s'aventurent résolument en dehors des sentiers battus.

En France, le jeune Jorge Lavelli s'est hissé en un temps record au niveau de Roger Blin, Jean-Marie Serreau, Roger Planchon et Gabriel Garran. Depuis peu, A. Gatti et G. Tréhart (Grenier de Toulouse et Centre culturel de Caen) font parler d'eux.

En Hongrie, Karoly Kazimir fait sensation dans les théâtres de Budapest avec ses recherches très poussées sur l'actualisation d'oeuvres classiques. Certaines troupes polonaises et tchécoslovaques s'orientent également dans cette voie. Cette tendance d'actualisation, typique pour les pays satellites de l'U.R.S.S. s'explique sans aucun doute par l'influence du polonais Jan Kott (Shakespeare, noire contemporain).

Paul Barker, l'animateur du « Dallas Theatre Center » (U.S.A. - Texas), disposant de moyens financiers énormes, apparemment inépuisables, expérimente les grands classiques du XXe siècle avec une machinerie technique super-perfectionnée à l'échelle américaine.

En Angleterre, Peter Brook s'est fait le chef de file de toute une génération de metteurs en scène passablement audacieux, dont les réalisations suscitent souvent la colère de Lord Chamberlain.

N'oublions cependant pas que ce sont les réactions violentes des jeunes dramaturges (J. Arden, F. Bond, H. Pinter, etc.), contre le Conservatisme national qui avantagent considérablement la vitalité tapageuse du jeune théâtre anglo-saxon.

Les promesses.

Je considère d'un oeil assez sceptique — ne connaissant pas à fond — les expériences de certaines troupes expérimentales comme « La Mama -Theatre » (New York) et le Grand Théâtre Panique (Jérôme Savary, Paris).

Des seins dénudés à gogo, des orgies de masse, des copulations et actes scabreux, voilà les prédominantes de ce jeune théâtre expérimental. D'une part, protestation contre un certain « way of life of sex », d'autre part contre le décret tabou de l'expression sexuelle dans les milieux publics et bourgeois. Cette protestation s'extériorise sous forme d'agression sexuelle (Futz, de Rochelle Owens, « La Mama Theatre », New York) ou comme un Théâtre orgiaque (Le Labyrinthe, de F. Arrabal, Grand Théâtre Panique).

Jérôme Savary déploie un éventail de passions lubriques, mélange le grotesque avec le sacré, des figures clownesques et démoniaques avec des chants sacrés baroques. Il brosse des images d'un monde où toutes les valeurs éthiques et esthétiques — ordre, pureté, beauté, innocence, amour -— sont déformés en cauchemars. Il transforme tout en amas hideux, déformé par la panique. Si Arrabal nous peint un monde sans issue, inexpliqué (une sorte de prison espagnole), Savary nous présente un monde où s'accouplent la puissance et la sexualité. Geôliers et prisonniers, seigneur et valet sont enchaînés les uns aux autres par des liens érotiques. Les mécanismes qui régissent le monde sont ceux de la copulation.

Les Happenings.

Les happenings sont pour le moment une simple aventure dénuée de toute base professionnelle; tentatives de certaines gens, à l'imagination tordue, pour créer un écran de fumée.

L'Américain Allan Kaprow, inventeur du happening, décrète : « Les happenings sont une sorte de vie soigneusement sélectionnée et composée. Ils sont, dans leur esprit, proches des jeux d'enfants, réinventés à chaque fois, selon des règles convenues. Si leurs significations sont complexes, leur impact d'images et d'émotions est aussi direct que de combattre un veau, célébrer une grand-messe ou dépister un espion. Pour le contenu et l'intention, mes œuvres sont conçues comme des rituels, des « mystères » en quelque sorte, mais ne se rattachant à aucun culte et refusant toute institutionalisation. »

Sans commentaires...

Aux Kaprow, Pi-Lind, Yvonne Rainer, Alex Hay, Robert Morris et autres de nous prouver, dans un avenir prochain, que leurs happenings sont capables d'accéder à un niveau de la création artistique.

Cet aperçu à vol d'oiseau du théâtre de recherche contemporain n'a aucune prétention exhaustive. En outre, comme je l'ai déjà signalé, il se base sur une échelle de valeurs personnelles, donc subjective.

Néanmoins, je suis persuadé que ce théâtre de recherche contient les germes d'un nouvel art dramatique, et que l'an 2000 verra la floraison d'un théâtre à la base duquel on retrouvera les travaux d'un Grotowski, d'un « Living Theatre » et du psychodrame.

Et je souhaite bonne chance et beaucoup de persévérance courageuse à ces artistes honnêtes, pour qui la récompense financière ne constitue pas une fin en soi.

Auteur

Publication Les Beaux-Arts

Performance(s)

Date(s) 1967-12-07

Artiste(s)

Compagnie / Organisation