Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, Le Labyrinthe



La Libre Belgique

29-1-1968

AU THEATRE 140

LE LABYRINTHE

Il faut savoir gré au Théâtre 140 de nous présenter, après l'« Antigone » du Living Theatre de New York, « Le Labyrinthe », d'Arrabal par le Grand Théâtre Panique de Paris. Que ces expériences suscitent chez eux de l'enthousiasme ou de l'irritation, les fervents du théâtre ne peuvent les ignorer. Quant au grand public, il risque un certain désarroi en affrontant le délire verbal, violent et bruyant, souvent ordurier, de ce fou d'Arrabal. La direction du 140 déconseille d'ailleurs lui-même le spectacle aux moins de 21 ans.

Et nous, qu'avons-nous vu, qu'avons-nous retenu? Comment décrire ces saturnales explosives, coupées de longues plaintes, de bruits de chasse d'eau, de parodies d'opéra, d'obscénités tristes et de réminiscences littéraires, où le texte est à peine un prétexte et où les prisonniers d'un geôlier noir vous entraînent de latrine en latrine sur les rythmes du Carnaval de Rio? « C'est grossier, mais c'est dément! » dira-t-on. La grossièreté est évidente, délibérée, provocante. Mais est-ce vraiment dément? « Pour moi, explique Arrabal, la poésie au théâtre doit se situer dans le mécanisme du cauchemar. Je veux un théâtre aux limites de l'insupportable : un théâtre dans lequel l'humour, l'amour, l'érotisme, l'angoisse, la panique se mêlent ». Il s'agit, en somme, d'un spectacle magique, analogue aux séances d'hypnotisme, mais la magie n'agit pas toujours. Sommes-nous blasés? Le spectacle — et ici, nous ne pouvons dissocier du « texte » d'Arrabal la mise en scène et la musique de Jérôme Savary — nous a finalement paru trop « supportable ».

Qu'on nous comprenne bien. Nous avons connu, depuis la guerre, le théâtre de l'absurde et le théâtre de la dénonciation, le théâtre de la dérision et l'antithéâtre. Avec le « Living » et Arrabal, on nous offre le « théâtre de l'étonnement ». Et le public lance aux comédiens : « étonnez-nous! » Et les comédiens — Renaud Goyon, Lydie Pruvot, Yvan Labéjof, Jérôme Savary et Jacques Coutureau — cherchent à atteindre les « limites de l'insupportable », avec une parfaite maîtrise de l'expression corporelle, car le corps est roi et le verbe s'est fait geste. Mais encore? Sommes-nous « étonnés »? Non, sans doute. Après Beckett et Ionesco, Genêt et Pinter, Godart et Béjar, Pauline Réage et le « Living », après ces chocs répétés qui ont émoussé notre sensibilité, qu'est-ce qui peut encore nous étonner? Ce qui peut encore nous étonner : quelques vers de Racine, un concerto de Mozart, un paysage de Monet...

Sérieuses réserves.

J. H.

Auteur J.H.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Le Labyrinthe

Date(s) du 1968-01-26 au 1968-02-03

Artiste(s) Fernando ArrabalJérôme Savary

Compagnie / Organisation le Grand Théâtre Panique