Archives du Théâtre 140


'Le Labyrinthe', d'Arrabal. Du délire considéré comme un des beaux-arts



Le Soir

29-1-1968

AU THEATRE 140

« Le Labyrinthe », d'Arrabal

Du délire considéré comme un des beaux-arts...

Des cris hystériques, des halètements, des râles de moribond, des gloussements, des sifflements, des renaclements bestiaux, des hurlements désespérés, des ricanements démentiels, des chuintements inquiétants, des coups de grosse-caisse, des litanies couvertes par des roulements de tambour, le bruit d'une chasse d'eau : voilà ce qui fait l'essentiel du nouveau spectacle du 140. Du moins sur le plan acoustique. Sur le plan visuel, ce sont surtout des trémoussements lubriques ou burlesques, des danses échevelées qui font songer au bal des Quat'zarts, des mouvements spasmodiques, des postures grandguignolesques, des parades de clowns en folie, auxquels se livrent des hommes qui se prennent pour des Papous de Nouvelle-Guinée, une nymphomane vêtue de lanières de raphia, un Noir enveloppé dans une peau de mouton et quelques autres comparses tout aussi curieusement attifés. Seule une chèvre — une vraie! — échappe à ce délire collectif, se promène tranquillement en scène et s'aventure même sur les marches qui conduisent à la salle...

Cela s'appelle « Le labyrinthe » et c'est évidemment inanalysable. Le texte est indigent, réduit à la portion congrue et d'ailleurs souvent inaudible parce qu'il est couvert par les cris ou les chansons des acteurs ou encore par les bruits d'une batterie. On peut tout de même comprendre que le propriétaire (noir) d'un château et d'un parc a mis sécher une collection monstrueuse de vieilles couvertures qui forment un labyrinthe. Dans des latrines désaffectées, deux hommes sont prisonniers. L'un a tout le temps soif et se désaltère dans la cuvette du W.-C. dont son compagnon tire complaisamment la chasse. L'autre se libère et rencontre dans le parc la fille du propriétaire, qui est hystérique et mythomane et qui refuse de le faire sortir de ce parc. Sur ses entrefaites, l'autre prisonnier se pend à la chaine du W.-C. Suit une parodie de procès et le prisonnier survivant est condamné à mort.

Ce spectacle, qui ne permet de se raccrocher à rien de sensible, d'intelligible ou d'intéressant, m'a beaucoup ennuyé. Mais si vous aimez les images délirantes, les cauchemars et les manifestations de la folie, vous trouverez certainement de quoi satisfaire vos goûts dans ce « Labyrinthe » imaginé par Arrabal lorsqu'il avait vingt-trois ans, mais qui n'a été créé qu'au début de l'année dernière, à Paris.

C'est le Grand Théâtre panique qui interprète cette apologie de la pâmoison collective. Il est indiscutable que le jeune metteur en scène Jérôme Savary a orchestré ces cabrioles hallucinantes et ces trémoussements lascifs avec une grande maîtrise. Il joue lui-même le rôle du juge vêtu d'un porte-jarretelles transparent. Jacques Coutureau est le prisonnier rebelle qui tombe de tout son long trente fois sur la soirée. Lydie Pruvot a des airs extasiés ou frénétiques en nymphomane. Et l'acteur noir Yvan Labéjaf est son immoral papa.

Faut-il dire que « Le labyrinthe » n'a rien à voir avec le théâtre tel qu'on l'a conçu jusqu'à ce jour? On doit inventer un autre mot pour un « art » de ce genre...

André PARIS

Auteur André Paris

Publication Le Soir

Performance(s) Le Labyrinthe

Date(s) du 1968-01-26 au 1968-02-03

Artiste(s) Fernando ArrabalJérôme Savary

Compagnie / Organisation le Grand Théâtre Panique