Archives du Théâtre 140


'Le Labyrinthe'



La Dernière Heure

29-1-1968

Au 140

« LE LABYRINTHE »

Dans la mesure où le théâtre c'est d'abord et avant tout un texte, ce que nous avons vu vendredi soir au « 140 » n'est pas du théâtre.

De texte — il est d'Arrabal — on peut presque dire qu'il n'y en a pas... ou plus exactement que tout est fait pour le ravaler au rang de simple support fournissant au metteur en scène le plan de sa construction. En effet, quand il n'est pas complètement inaudible — couvert par le bruit d'une chasse d'eau, un roulement de tambour, une sonnerie de trompette ou les lamentations d'un chœur invisible — il est le plus souvent rendu incompréhensible par un débit à ce point accéléré et monocorde qu'il se transforme en ronronnement. Ce mépris du texte est encore illustré lors d'une pseudo-plaidoirie, qui se développe presque uniquement en onomatopées et borborygmes. Et, personnellement, nous regrettons que toute la « pièce » — si l'on peut parler d'une pièce — n'ait pas été traitée de la même manière : au moins aurait-on fait l'économie d'un effort de compréhension qui de toute manière, allait se révéler pratiquement vain.

Il faut vous dire que la scène est, en profondeur et en hauteur quasiment remplie de couvertures sales et déchirées suspendues à des fils : c'est le labyrinthe dans lequel s'égarera, après s'être libéré de ses fers, un prisonnier qui, jusqu'alors, dans un coin du plateau, s'était trouvé enchaîné, avec un compagnon, à la cuvette d'un w.c., dans lequel tous deux se rafraîchissaient avidement lorsqu'ils parvenaient à actionner la chasse! Et cependant que son compagnon finira par se pendre à celle-ci, l'évadé errera sans fin entre les couvertures, se heurtant à une véritable cour des miracles d'hommes en mini-slips et de filles aussi bien en pyjama de soirée qu'en haillons et qui cherchent eux aussi désespérément la sortie. Notre homme finira par y mourir, en pleine folie collective, après s'être vu accuser du meurtre de son ami qui s'était suicidé et avoir, dès lors, été condamné par des pitres à ne jamais trouver l'issue.

Voilà! Faut-il voir, dans ce « labyrinthe » une image de notre propre vie qui nous opprime et nous enferme dans une masse de conventions sans nous donner la possibilité de nous évader?

En vérité, chaque spectateur est libre de tirer la conclusion qui lui

plaît.

Ce qu'il faut reconnaître, c'est que cette vision démentielle donne jeu — par la grâce du metteur en scène, Jérôme Savarv et de ses mimes, danseurs, acrobates et parfois comédiens, du Théâtre Panique — à un « spectacle » remarquablement réalisé. Tous les moyens — même discutables sur le plan du bon goût — sont employés pour forcer l'attention en choquant (dans tous les sens du terme) le spectateur; citons, entre autres : les scènes dans les latrines, une nymphomane mimant une possession, deux hommes à peu près nus dansant un tango, une hystérique se ruant sur un mâle, une chèvre qu'on promène on ne sait pourquoi, la pendaison du désespéré... Mais tout cela se développe sur un tel rythme, avec une telle participation totale de tous les intervenants, avec une telle précision dans les éclairages et les bruitages que l'attention du spectateur le plus rétif est immanquablement forcée.

D'aucuns diront que, dans une parade foraine, les bateleurs ne poursuivent pas d'autre objectif.

Nous le leur accordons...

— R.P.

Auteur R.P.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Le Labyrinthe

Date(s) du 1968-01-26 au 1968-02-03

Artiste(s) Fernando ArrabalJérôme Savary

Compagnie / Organisation le Grand Théâtre Panique