Archives du Théâtre 140


'Je ne veux pas mourir idiot'. Humour et révolution, au '140'



La Libre Belgique

30-10-1968

Humour et révolution, au « 140 »

« Je ne veux pas mourir idiot »

En France, c'est connu, tout finit par des chansons. Wolinsky, humoriste féroce, a regardé les événements de mai dernier à Paris et s'en est amusé, mais à la manière des humoristes dont la première qualité est la révolte et la fraîcheur. Wolinsky, dialoguiste, a le don merveilleux de faire rire : il a trouvé un langage qui ressemble à son humour dessiné. Quelque chose de clair, de naïf même dans la férocité.

Wolinski, auteur de dessins, de dialogues et de chansons, ne chante pas, lui. Celui qui chante c'est Evariste, vous connaissez? Evariste a 24 ans; il est docteur en physique théorique, diplômé d'études supérieures de mathématiques approfondies et chercheur de l'Université de Princeton, chargé de cours à la Sorbonne. Il a une tête d'enfant, d'enfant blafard avec de beaux yeux et une pince dans les cheveux. Il chante les choses les plus horribles d'une voix sucrée, qui file tout à coup dans l'aigu.

Il y a également Claude Confortée, acteur, metteur en scène, animateur de sa propre compagnie qui a révélé de jeunes auteurs. Antoine Tudal, Denise Astruc, Romain Bouteille. Il y a, enfin, des acteurs; ils sont franchement typés : Georges Beller le « sympa », tour à tour étudiant, ouvrier, métèque. Gérard Groce, comédien étonnant, dans son rôle d'orateur, de syndicaliste, de Français moyen, de père dérisoire; Philippe Ogouz, l'esthète, l'intellectuel, opportuniste, le dilettante, pourri sur les bords; Hermine Karagheuz, petite femme à la voix aigre, sortie d'un dessin de Wilinsky.

Ce qu'ils jouent, ce qu'ils chantent, c'est en somme une réflexion sur les événements de mai et, à la fois, une illustration de ces journées dramatiques où l'extraordinaire était quotidien. Ils le font sans un esprit anarchiste; c'est-à-dire que leur joyeuse entreprise de démolition n'épargne personne. Et pourtant, il y a de la tendresse, une chaleur humaine dans cette fresque des temps troublés. Tout cela va, finalement, assez loin.

Il faut prendre le spectacle comme il est. Il s'adresse, on s'en doute, à un public capable de faire la part des choses. Cependant, il n'y a pas de vulgarité, de complaisance dans cette séance de cabaret qui a les dimensions du théâtre; qui est plus que du cabaret; qui s'empare de l'actualité et la traduit en imagerie forte, crue et tendre.

Nous avons vu d'autres spectacles inspirés par les événements de mai : « La promenade du dimanche » par exemple; ou inspirés de l'actualité politique comme « Que ferez-vous en novembre? » Ils n'avaient pas l'alacrité, la santé, la vigueur de « Je ne veux pas mourir idiot ».

La seconde partie nous a moins séduit; elle verse un peu dans la démonstration; elle n'a pas la même fraîcheur, ni le même jaillissement.

Il faut bien comprendre que ce genre de spectacle offre des risques. Sur les barricades à Paris, en mai dernier, on ne parlait pas un langage de cour. Aussi, la direction du « 140 » a-t-elle pris la précaution de prévenir qu'il était conseillé d'être adulte pour assister au spectacle. Vous voilà fixé.

J. S

Auteur J.S.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Je ne veux pas mourir idiot

Date(s) du 1968-10-28 au 1968-11-02

Artiste(s) WolinskiClaude ConfortèsEvariste

Compagnie / Organisation