Archives du Théâtre 140


'Je ne veux pas mourir idiot'. Les événements de mai, comme si vous y étiez…



Le Soir

30-10-1968

AU THEATRE 140

« Je ne veux pas mourir idiot »

Les événements de mai, comme si vous y étiez...

C'est drôle, c'est percutant! Les spectateurs d'esprit contestataire s'amusent follement; ils applaudissent à tout propos (et quelquefois hors de propos...) Mais les autres, qui n'ont plus l'âge de fréquenter l'Alma Mater ou qui ne sont pas des partisans inconditionnels d'un bouleversement immédiat et total de notre société, se divertissent aussi, parce que ce libre jeu scénique du dessinateur Wolinsky (qui prit une part active aux événements de mai et collabora notamment aux deux journaux révolutionnaires baptisés « Action » et « L'Enragé ») apparaît finalement comme une condamnation féroce, mais lucide, de la bêtise humaine sous maintes de ses formes.

On a dit beaucoup d'inertes, on a ressorti bien des poncifs et l'on a parfois montré une incompréhension obstinée à propos de ces événements. Wolinsky a précisément réuni une sorte de florilège de ces lieux communs qu'il a portés à la scène et qu'il a dramatisés avec une verve évidente et un sens réel du dialogue. Un de mes voisins murmurait : « C'est une résurgence de l'esprit montmartrois... » Et sans doute, on y brocarde de Gaulle et ses ministres, mais cela va tout de même beaucoup plus loin. Il s'agit d'une matérialisation scénique de l'état d'esprit des jeunes révoltés de mai. Et c'est avec de la sincérité et du courage qu'on s'y dresse contre bien des mots en « isme » : le conservatisme, le conformisme, le paternalisme, le militarisme, le chauvinisme, etc...

Tout n'est pas d'une égale qualité. Il y a des flèches grossièrement taillées et décochées à la « va comme je te pousse ». Mais beaucoup de traits satiriques sont acérés et touchent le but. On découvre incontestablement, dans ce spectacle insolite, de l'inspiration, un humour efficace, une fantaisie très juvénile et aussi six interprètes de qualité, sûrs de leur texte et de leurs effets.

Les héros sympathiques sont une étudiante exaltée, sans doute, mais clairvoyante, réaliste et franche (Hermine Karagheuz) et un jeune ouvrier (Georges Beller), à la fois curieux et goguenard, naïf et finaud. Les « mauvais » sont représentés par un C. R. S. porté sur le matraquage préventif (Claude Confortés), un orateur très « France éternelle », habile à désamorcer d'une façon pragmatique les problèmes trop angoissants (Gérard Croce), et un « esthète de mai », velléitaire, rêveur, incorrigiblement imaginatif (Philippe Ogouz). Les commentaires ironiques — et même volontiers corrosifs! — sont chantés par le délicieux Evariste qui, avec un air faussement innocent et en pinçant négligemment sa guitare, saupoudre tout le spectacle de dynamite!

C'est Claude Confortés qui a imaginé avec esprit les mouvements de cette originale et fort divertissante « satire à six voix ».

André PARIS

Auteur André Paris

Publication Le Soir

Performance(s) Je ne veux pas mourir idiot

Date(s) du 1968-10-28 au 1968-11-02

Artiste(s) WolinskiClaude ConfortèsEvariste

Compagnie / Organisation