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L'enfer climatisé: 36 heures underground au 140



Les Beaux-Arts

1-11-1969

L'enfer climatisé: 36 heures underground au Théâtre 140

Bruxelles vient de vivre une étonnante semaine « underground ». Entendez par là ce qui est off, off-off, free, anti-conformiste, anti-conventionnel et logiquement anti-commercial.

Il y a cependant belle lurette que ce mouvement fait les choux gras des producteurs et autres managers.

Au « 140 », le dynamique et singulier Jo Dekmine avait convié le Bruxelles bruxellant à descendre en sa compagnie les marches qui conduisent à l'enfer. De révolte en effet, il était beaucoup question. De liberté aussi et n'avaient été les « cerbères » de service, le théâtre de l'avenue Plasky l'eût évoquée allègrement.

Des barricades de baffles

Le public : d'une manière générale, il a suivi. Quelque peu inquiet au début par cette orgie sonore, ce « high-voltage » déferlant des barricades de baffles, il n'en a pas moins repris peu à peu contact avec la musique et ses envoûtants pouvoirs et s'il a souffert du tympan au point de vouloir se métamorphoser en autruche devant cette libération des tripes, il n'en a pas moins compris la chance qui était sienne de pouvoir enfin approcher et globaliser un mouvement qui a pris dans la société une importance décisive. Or, si l'on ne doit pas prendre trop au sérieux des groupes tels que Alan Jack Civilization, le baroque jazz trio, le Here and Now dont les intentions, trop cérébrales et souvent puériles, irritent plus qu'elles ne touchent, il n'en va pas de même des Ten Years after et surtout des Nice qui ont trouvé un ton à la fois expérimental et original.

Ces derniers en particulier, dont on se demande s'ils ne sont pas en train, à l'égal des Blood sweet and Tears et des Chicago Transit Authority, de se tailler une place de tout premier plan dans le monde de la pop music, sont tous de remarquables musiciens.

Ars longa vita brevis

Leur musique est un alliage de classique, de jazz et de beat. L'organiste, Keith Emerson, dont la virtuosité sophistiquée n'a pas fini d'étonner, s'est révélé jusqu'à présent, et de loin, le meilleur musicien de ces 36 heures. Autre particularité des Nice, leur vif intérêt pour Vivaldi,

Rachmaninoff, Sibelius, Dylan dont ils adaptent les œuvres avec un réel bonheur. On découvre avec eux une musique moderne adaptée à une sensibilité moderne. Le fait est trop rare que pour n'être pas signalé. Le public l'a d'ailleurs parfaitement compris qui les ovationna longuement.

Si je n'ai pas abordé la partie « film underground », c'est qu'elle m'a paru le point faible du programme. Si l'on excepte l'un ou l'autre court métrage d'animation tels que « Erlebnisse der Puppe », présenté voici deux ans au festival de Knokke, les films projetés m'ont paru dénués d'intérêt et ce n'est pas le fait de les avoir parfois synchronisés avec une partition musicale qui leur a ajouté une quelconque signification.

En résumé une chaleureuse tentative, couronnée de succès, qui aura eu le mérite de situer, avec imprécision certes, la valeur et l'impact d'une musique qui, tout underground qu'elle soit, EST une des musiques d'aujourd'hui et probablement la musique de demain.

André DROSSART.

Auteur André Drossart

Publication Les Beaux-Arts

Performance(s) 36 Heures Underground

Date(s) du 1969-10-21 au 1969-10-28

Artiste(s) Baroque Jazz TrioAlan Jack CivilizationBurton Greene QuintetTomahawkBlues BandTen Years After Here and NowThe NiceYes The Classic Quatuor of University

Compagnie / Organisation