Archives du Théâtre 140


The cry of the people for meat, par le Bread and Puppet de New York



Les Beaux-Arts

9-11-1969

Au 140

The Cry of the people for meat, par le Bread and Puppet de New York

Le Cry of the people for meat est une date. Non un aboutissement mais un moment d'équilibre dans ce foisonnement bousculé de recherches qui caractérise aujourd'hui l'expression théâtrale. Un spectacle pour lequel le critique trouve difficilement le mot juste car c'est moins de théâtre qu'il s'agit que de culte.

En 1961, à New York, Peter Schumann rassemblait les membres d'une troupe qui, six années plus tard, lors de sa première apparition en Europe, au Festival de Nancy, recueillait l'adhésion tout en suscitant la sympathie.

Une telle réussite n'est pas due au hasard. Elle s'explique par la personnalité du groupe, par sa réflexion de communauté engagée, par la « patte » avec laquelle il s'insurge contre la guerre et par les moyens, à la fois austères et spectaculaires, qu'il met en œuvre pour la dénoncer.

Aller voir le « Bread » c'est d'abord être étonné par la bonhommie, la spontanéité et la santé de comédiens dont la jeunesse va de pair avec une profondeur et une vérité telles qu'on se plairait à les voir jouer DANS le public — sur le parvis d'une église, sous les voûtes de catacombes — plutôt que DEVANT. C'est, ensuite, tomber sous le charme des techniques employées dont l'originalité n'a d'égale que l'efficacité.

C'est, enfin, réfléchir et, qui sait, battre des ailes, s'extirper d'un cocon qu'une société blasée distille à plaisir. Qu'on ne se trompe pas cependant! Le B. and P. ne distribue pas de coups de pied au cul à la Living, il se contente, à partir de situations bibliques, d'évoquer un contexte actuel de chaînes et de sang. Qu'il ne crie pas. Qu'il montre. Du haut de ses marionnettes. Il proteste. Simplement. Du bout des lèvres. Il ouvre les yeux. Il a raison.

Les Gargouilles

Qu'elles soient imposantes comme des « Géants » de carnaval au faciès tordu et à la démarche chaloupante ou, au contraire, minuscules à l'instar des poupées de guignol, les marionnettes utilisées dans The Cry ont un triple pouvoir : d'évocation (une poésie féérique et mystérieuse); de narration (tout comme les gargouilles moyennâgeuses racontent une histoire, les tableaux vivants du Bread racontent le présent); de dénonciation,

la marionnette burine les traits, accuse les caractères et, par voie de conséquence, se prête plus facilement à l'accusation qui prend ici les aspects les plus divers y compris la satire, mais garde constamment comme support ce qui est sans doute la forme du tragique contemporain, le grotesque. C'est d'ailleurs en cela que The Cry of the people for meat bien que s'appuyant sur la Bible et reposant sur des techniques qui peuvent paraître surannées, est fondamentalement moderne. De plus, la marionnette possède une ambivalence supplémentaire. A la fois sujet et objet, sa signification en tant que parure ou costume s'étend à celle de décor, baroque et fantastique. Le cas est particulièrement sensible lors de la Cène et de la Crucifixion.

Le Cri pour la Vie

Modernes sont également les autres techniques. Le « Bread and Puppet » gomme systématiquement tout dialogue, qu'il remplace toutefois, dans un souci de guider le public, par des écriteaux, de courtes introductions, de brefs poèmes ou encore par des paraboles empruntées à la Bible et soutenues par un accompagnement musical. Autre particularité, le décor sonore. Il s'agit le plus souvent d'un chœur, montant comme une mélopée, à base de voix et d'instruments purs tels le bugle, le tambourin ou le sifflet. Parfois, un soliste intervient et rythme le geste par l'intermédiaire d'une grosse caisse, d'un violon » travaillé », d'une flûte. On le voit, le ton est toujours simple, à la recherche de sa vérité première.

En fin de compte cependant, le pivot d'une telle mise en scène demeure l'expression corporelle. Quelle respiration! Quelle authenticité dans la présence, le combat ou la déambulation. Béjart, qui assistait à la représentation, en paraissait bouleversé.

En conclusion, The Cry of the people est une œuvre foudroyante de simplicité, de pauvreté originelle, d'une naïveté (dans le vrai sens du terme) réconfortante, aussi loin de l'expérimentation actuelle que le berger du monarque, et qui retrouve dans les mystères d'un livre, la Bible (à l'égal de La divine comédie, probablement le plus profond) le mystère, la poésie, la simplicité et l'authenticité du cri pour la vie.

André DROSSART.

Auteur André Drossart

Publication Les Beaux-Arts

Performance(s) The cry of the people for meat

Date(s) du 1969-11-08 au 1969-11-10

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Bread and Puppet Theater