Archives du Théâtre 140


Paradise now par le 'Living'



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PAN

PARADISE NOW par le « Living »

SINCEREMENT, je ne comprends vraiment pas pourquoi l'on s'obstine un peu partout à tenir le « Living théâtre » pour une troupe subversive. Si j'étais marxiste, je dirais que le « Living » est l'opium des snobs et des intellectuels de gauche. Je dirais aussi que le « Living » est, objectivement, un agent secret mais si efficace de la réaction. Moi, j'aime beaucoup le « Living ». Voici deux ans, à Avignon, son exhibition suffit à faire élire un député bien-pensant. Mercredi dernier, au 140, le « Living » a remis cela et a, enfin, fourni la démonstration publique du vide de la pensée contestataire. On se serait cru à une parodie de tous les thèmes révolutionnaires! Je trouve que les capitalistes à gros cigares auraient intérêt à entretenir le « Living » et à le produire dans tous les réfectoires de nos usines. Les camarades syndiqués seraient dégoûtés à tout jamais des démocratisateurs professionnels de la culture et s'en tiendraient, sagement, à « l'Auberge du cheval blanc ». Quel dommage que tous ces braves gens n'aient pu assister à la « grande première » du 140. Dès les premières minutes s'institua entre le public et les comédiens un amusant concours de connerie. Un concours, que dis-je, une escalade. C'était à qui sortirait la plus grosse! Souvent, l'avantage est resté au public. D'abord, il avait payé cher pour être là. C'est de la bêtise ou du masochisme. Ensuite, il était composé pour moitié de bourgeois décadents, pour un quart d'ultras de l'idéal anti-savon, pour l'autre quart de jeunes femmes américaines, guenons nasillardes déguisées en visons géants.

Sur la scène, et dans les travées, la troupe du « Living » violait moins la morale bourgeoise que l'esthétique. Les garçons? Véritablement affreux, sales, des cheveux longs mais rares, des ventres de damnés, des yeux de cinglés.

Par parenthèse, on se demande bien pourquoi ils sont tellement opposés à l'armée. Mal foutus comme ils sont, ils seraient tous réformés! Les filles? Des remèdes contre la partouze, des squelettes efflanqués aux fesses blêmes ou de gras bovidés aux panses couturées. Au total, des laideurs d'hôpital échappées d'un cauchemar de Baudelaire. Tout cela sentait le fromage de Herve et la langoustine avancée, tout cela criait et se contorsionnait en une cacophonie progressiste.

Jamais, on ne parla d'une autre exploitation, celle du public qui n'en eut pas pour son bel argent... par le « Living », sans doute par solidarité avec les grévistes de quelque part dans le monde, fit la grève du théâtre. Quelques-uns de ses comédiens tentèrent bien de mimer une scène d'amour. Mais le cœur et le reste n'y étaient pas. Il y avait déjà le Mime Marceau. Avec le « Living » il y a le Mime-de-rien!

Il faut être idiot comme un flic italien pour chercher les puces à cette troupe du « Living », excroissance malsaine mais aussi bonne conscience et soupape de sûreté de la société de consommation!

Il ne faut surtout pas prendre les gens du « Living » pour des évolutionnaires. Ce sont des petits malins qui ont trouvé un bon filon : l'exploitation systématique d'une mystification.

Pourquoi se fatiguer à étudier des rôles et à se soumettre aux directives d'un metteur en scène quand on gagne plus de célébrité et plus d'argent en se déshabillant sur le rythme de slogans idiots?

A la Foire du livre à Francfort, Arrabal a fait un malheur avec un album représentant son zizi photographié sous tous les angles. C'est du même esprit que participe l'entreprise théâtrale du « Living ».

PANTALON

P.S. Les animateurs du 140 font tout un foin ces jours-ci à propos des brimades policières dont ils sont les victimes. Ils ont raison en grande partie : alors que le « Cirque » et que beaucoup de théâtres placent, en cas d'affluence, des centaines de spectateurs sur des chaises « volantes », la police de Schaerbeek impose au 140 le respect des prescriptions légales en le matière. Pourquoi deux poids et deux mesures? Ainsi le jour de la première, le 140 avait vendu à l'avance toutes les places... y compris, ce qui fait honneur à son sens du lucre bien capitaliste, celles de Pantalon et d'une dizaine d'autres critiques. Finalement, tout le monde trouva place... à même la scène. C'est gênant pour la réputation et le fond de Pantalon. La prochaine fois, il aimerait un fauteuil.

Auteur Pantalon

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Performance(s) Paradise Now

Date(s) du 1969-12-10 au 1969-12-13

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre