Archives du Théâtre 140


Le Living Theatre dans 'Paradise Now'



La Libre Belgique

12-12-1969

AU THEATRE 140

Le Living Theatre

dans

"Paradise Now"

Il serait aberrant de sous-estimer et l'intérêt des expériences, des recherches, des accomplissements du Living Theatre et la beauté, la valeur, la grandeur de certaines de leurs réalisations. Que sous les apparences, l'esthétique de Julian Beck et Judith Malina ne soit pas toujours d'une approche facile, que comme toute élaboration vivante et inachevée elle prête aux équivoques, que cette forme de théâtre n'ait pas son public et qu'elle traîne après elle une rumeur de scandale, favorisée quelques fois, comme à Rome, par des mesures policières intempestives, est l'évidence même. L'autre soir, au Théâtre 140, les spectateurs se pressaient autant pour de bonnes que pour de mauvaises raisons. Disons donc tout de suite que les amateurs de scandale seront déçus.

Mais les amateurs d'art aussi, du moins en ce qui concerne les spectacles intitulés « Paradise Now » (le paradis tout de suite). Conçu l'an dernier à l'époque où la contestation faisait rage en France, ce spectacle consiste essentiellement en des essais répétés et vains d'établir entre la salle et les comédiens un dialogue, un échange de vues, une concertation pour abolir le système social bourgeois et capitaliste. Entreprise, il faut bien le constater, parfaitement utopique. D'abord, parce qu'une discussion entre une dizaine d'acteurs et quelques centaines de spectateurs est impossible. Ensuite, parce que ces acteurs affichent des idées politiques extraodinairement sommaires et indigentes, qu'ils ne disent pas par quoi remplacer un régime social dont nous sommes les premiers à reconnaître les lacunes et les défauts, que la générosité, en un mot, ne peut tenir lieu de réflexion.

Idées sommaires, traduites dans un langage théâtral sommaire, « Paradise Now » n'est pas le « spectacle joyeux » que Beck annonçait dans l'interview reproduite dans l'intéressant ouvrage que Pierre Biner a consacré au Living Theatre, et nous n'avons pas vu « une pièce qui montrera les difficultés de la vie en commun et donnera au public, nous l'espérons, l'envie de collaborer, sur cette terre, à quelque chose ». Nous avons, assisté, par contre, à un « happenning » parfois amusant, plus souvent monotone, traversé trop rarement d'éclairs d'une grande beauté de langage corporel et d'une dense émotion artistique.

L'esthétique du Living est fondamentalement liée à un style de vie fondé sur une communauté anarchiste, qu'il postule, rêve, appelle. Que cette aspiration soit honnête et profonde, nous paraît incontestable. Qu'elle puisse aboutir, nous attendrons de le voir, pour y croire. Qu'elles s'exprime dans « Paradise Now » avec une gaucherie insigne, nous paraît indiscutable.

Nous garderons donc la nostalgie de Frankenstein, d'Antigone, de « The brig », grandes œuvres réfléchies et accomplies. Comme aussi le souvenir fasciné du « happening » improvisé par les comédiens du Living, après le départ du public, et qui fut, lui, une manifestation pure et profonde d'un art que nous avions vainement guetté dans « Paradise Now » mais dont bénéficieront peut-être les spectateurs de « Mysteries »n programmé dans quelques jours.

J. F.

Auteur J.F.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Paradise Now

Date(s) du 1969-12-10 au 1969-12-13

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre