Archives du Théâtre 140


Pas d'incident, au '140', mais le 'Living Theatre', à la lettre, est déshabillé



La Dernière Heure

12-12-1969

Pas d'incident, au « 140 », mais le « Living Theatre », à la lettre, est déshabillé

En anglais, « Living » veut dire « vivant ». Malheureusement, le « Living Théâtre » a montré mercredi soir, au Théâtre 140, que les étiquettes ne valent guère plus que la colle dont elles sont enduites. Et les spectateurs qui étaient venus nombreux, attirés par les incidents soulevés par la pièce, « Paradise Now », dans d'autres pays, en ont été pour leurs frais : le lion n'a pas mangé le dompteur...

Avec « The Brig » et « The Connection », peut-être même avec « Frankenstein », le Living Theatre de Julian Beck avait apporté quelque chose de neuf : une expression corporelle remarquable au service d'une idée. Mais c'était il y a quelques années. Aujourd'hui, « Paradise Now » ne conserve que l'expression corporelle sans aucune idée. C'est probablement un des spectacles les plus longs et les plus fastidieux que le public composite du « 140 » ait subi depuis longtemps.

Fastidieux et long comme ces interminables « assemblées libres » qui ressuscitaient, au temps de la contestation, l'incompréhension collective des meetings de l'âge de la pierre.

Au départ, cela pouvait faire illusion, en commençant par une habile mise en condition de la salle où les acteurs, sur le mode de la litanie, chuchotent, répètent, puis hurlent : « Je ne peux pas voyager sans passeport... » « Je ne sais pas comment arrêter les guerres... » « Je ne peux pas vivre sans avoir d'argent... » « Je n'ai pas le droit de fumer du haschish ».

Ils n'avaient pas le droit non plus d'ôter leurs vêtements, disaient-ils. Et pourtant, ils l'ont fait, en s'arrêtant au moment où les policiers en civil, assez nombreux dans la salle, auraient pu justifier leur présence attentive.

Après? Ben, on a contesté : la société, le capitalisme, l'armée, l'argent, en essayent de provoquer le public pour le faire « participer ». En poussant des cris. En agitant de vilains derrières. En mimant la drogue, en mimant (un peu) l'amour. La salle, pourtant, n'était pas bourgeoise, mais c'est à peine si un spectateur a entrepris de suivre une des actrices qui, en bikini, traversait la salle sur les dossier des fauteuils...

Plutôt du bricolage que du happening, quoi.

Où était le Living Theatre, mercredi soir? Peut-être bien dans la salle, où une spectatrice, « marchant » un petit peu, s'est irritée : « Puisque vous voulez un théâtre populaire pourquoi ne jouez-vous pas dans les rues? » « Parce qu'il fait froid », a répondu un des membres de la troupe.

Forcément, quand on se déshabille...

— S. P.

Auteur Steve Polus

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Paradise Now

Date(s) du 1969-12-10 au 1969-12-13

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre