Archives du Théâtre 140


au 140: le grand magic circus et ses animaux tristes



La Relève

17-1-1970

au 140 : le grand magic circus et ses animaux tristes

(« L'HUMOUR BETE ET L'AUTRE »)

La sous-titre du spectacle « décontracté-hurlant » de Jérôme Savary, qui nous vient de France, n'est pas de moi. Et ce qui m'ennuie, pour en parler, c'est que je n'ai pas ri. Ni à l'humour bête, ni à l'autre, d'ailleurs volontairement indistincts. Pourtant, des spectateurs ont ri, sans excès il est vrai, mais avec une certaine complaisance.

L'ENTREPRISE de Savary et de sa troupe n'est pas dénuée d'intérêt ; il s'agit, une fois encore, de déthéâtraliser le théâtre, d'occuper la scène et la salle selon un mode insurrectionnel — ce qui ne signifie pas, ici, révolutionnaire, car la révolution elle-même est théâtrale. Le spectacle démarre sur une évocation parodique de Waterloo, celui de Victor Hugo, où la France de la gouaille règle ses comptes avec la France épico-lyrique. C'est sur cette même parodie, mais agrémentée d'une épaisse fumée qui pique aux yeux — odeur de poudre et de balles — qu'il se refermera. Mais entre ouverture et la fermeture, il faut s'occuper. Les sketches qui constituent cette occupation ne seraient pas tous sans séduction, s'ils ne s'égrenaient avec tant de lenteur et de pesanteur, malgré une apparence désinvolte. Il faudrait, dans ce projet, plus d'inventivité explosive. Or, les situations, les personnages, les gags même, perdurent, se répètent, ramenant la dispersion à une unité plus contraignante que les trois unités classiques, celle de la monotonie. La ressource majeure de l'esprit qui se déploie ici n'est jamais que la fesse, et celle-ci est à mille lieues de ce que les troupes anglaises et américaines mettent en œuvre quand elles exhibent le nu, c'est-à-dire la chair. Le théâtre qui se voulait de rue retombe dans

le boulevard, avec ses hommes grassouillets en caleçons de fantaisie et son « hôtesse » (bien faite).

MAIS pour qui n'a pas assisté à la représentation, cette évocation sera exagérément sévère ; elle mérite d'être corrigée. La structure du spectacle demeure intéressante ; c'est son remplissement, son emploi qui me paraissent déficients. La succession de scènes hétéroclites reliées entre elles par l'artifice du « montreur » qui établit un double plan de théâtralité (on pense nostalgiquement à Lola Montés, d'Ophuls) est certes valable. L'idée de la pièce-éclair de quelques minutes, qui est tantôt une pièce succincte, tantôt une série de coupes dérisoires dans une pièce imaginaire et inexistante, est pleine de drôlerie, même si le dérisoire succombe souvent à la platitude qu'il prétend récuser.

Mais peut-être l'entreprise d'Alain Savary est-elle essentiellement sadique? Peut-être les acteurs savourent-ils le mépris du bourgeois qu'ils font rire en le chatouillant? On n'ose croire à tant de diablerie ; on ne peut non plus en écarter absolument le soupçon.

Pourquoi alors parler de cette représentation? Parce que l'obsession quj préside à sa démarche est celle de notre temps, dans sa destruction de l'œuvre-objet, dans son refus de l'ordre, et son rêve d'anarchie permanente. Et comment ne pas reconnaître qu'elle répond au besoin irrécusable d'hommes étouffés par la rigueur du savoir et de la technique, par une histoire réduite à la dimension de l'économique et oublieuse du temps joueur.

Seulement, jouer est difficile. Et Jouer à jouer, plus encore.

OLYMPE.

Auteur Olympe

Publication La Relève

Performance(s) L'humour bête et l'autre

Date(s) du 1970-01-08 au 1970-01-17

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Le Grand Magic Circus et ses animaux tristes