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Les orientations du Théâtre 140 pour la prochaine saison



La Libre Belgique

24-6-1970

Les orientations du Théâtre 140 pour la prochaine saison

Avertissement liminaire : une conférence de presse de Jo Dekmine au théâtre « 140 » ne ressemble à rien de connu. Ni bilan, ni prévisions. Devant les chroniqueurs, Dekmine s'enflamme, se confesse, maudit, rigole, vaticine, se rengorge, attaque... C'est, tout à la fois, un « one-man-show », un règlement de comptes, une boule de feu, un tohu-bohu d'images saugrenues, un psychodrame, un monologue intérieur à la Joyce.

Comment n'en serait-il pas ainsi? Le « 140 » de ce franc-tireur vit hors-normes. Sans subsides. Lieu de rencontre, tremplin ou relais de célébrités embryonnaires, il bouscule les horaires et les traditions; il accueille le théâtre et la « pop music », le ciné « underground » et les chanteuses à voix, le jazz et les débats publics : pourvu que ça bouge, que ça fuse, que ce soit dans le vent, qu'on en parle ou pas. Puisqu'on en parlera tout de même. Il arrive que Dekmine se trompe, mais il revendique le droit à l'erreur. Son réconfort, s'il en a besoin : penser qu'il aura eu raison avec deux ou trois ans d'avance, et voilà tout...

Flairer les créations

Dekmine a des antennes. Celles-ci lui permettent de flairer le moindre fumet de création et de bondir à sa rencontre, à New York, Amsterdam, Londres ou Gand. Si d'aventure, la nouveauté l'emballe, il n'a de cesse d'amener la troupe, le sculpteur, la chanteuse, l'orchestre, l'interprète dans son antre de l'avenue Plasky, antre confortable, mais qu'il juge archaïque : il souhaiterait une salle où coussins, tapis et poufs feraient la nique à une oasis de fauteuils.

Sans subsides, comment s'en tire-t-il? Il dit que le système D. n'est pas fait pour les chiens, qu'il se bat, flatte, persuade, émeut, établit une communication directe et obtient des régimes de faveur. Cela ne se passe plus sur le plan de la finance (pouah!), mais au niveau de l'amitié, des idées, à hauteur d'homme.

Il n'y aurait sans doute aucun nuage pour Dekmine si chaque spectateur, jeune ou vieux, provincial ou prolétaire, universitaire ou profane, ressemblait à... Dekmine. Le directeur du « 140 » tombe des nues si l'on ne connaît pas, simultanément : Grotowsky et Kienholz, Dubillard et Stockhausen, Brigitte Fontaine et Toone Brulin, de A à Z. Pour lui, Béjart, Klee, Hair, Picasso ou le Living devraient déjà faire figure de « classiques », « récupérés » pour les digests et les clubs de vacances! On est loin de compte, mais il ne paraît pas se résoudre à l'admettre. Son impatience lui fait brûler les étapes.

Est-il un super-snob? Oui, dans la mesure où il se gausse de toutes les formules de propagation culturelle : l'art des cours du soir, des soirées récréatives, des séminaires de vacances, des maisons de la Culture, des expositions en usine, des ouvriers traités comme des cobayes, des abonnements, des journalistes insuffisamment doués, des musées sans cafetaria, des bouquins luxueux entassés dans les bibliothèques et que l'on n'ouvre jamais plus... Non, dans la mesure où sa prétendue mégalomanie ne masque en fait qu'une étrange humilité : il n'est qu'un intermédiaire, un flâneur aux aguets qui se croit investi de mission prospectives et qui veut faire don de son butin à ceux qu'il convie « à sa table », pour « la fête ».

Un hochepot de 0 à 100 F

Qu'attendre du « 140 » pour 1970-71? Naïve question : on verra tout. On le saura plus tard. Dekmine n'a que l'embarras du choix : de Julien Clerc à Reggiani; des spectacles découverts au « Round-house » de Londres, au « Mickery d'Amsterdam, à la « Vieille Grille » de Paris, à l'Académie de Gand. au Festival d'Edimbourg ou dans un préau d'école d'Amersfoort; pas Maurice Fanon, mais la rentrée de Barbara; pas Georges Chelon, mais le Family; pas Roussin, mais Rufus; et encore la « Soft Machine », le Trio Emerson, « Renaissance », etc... A des prix allant de 0 à 100 F.

— Des soirées pour zéro franc?

— Bien sûr! Certains artistes de classe non encore reconnue pourront être applaudis sans que je me sente en droit de réclamer une participation financière... En revanche, l'un ou l'autre spectacle, peu nombreux, seront d'un accès, très, très onéreux, vu leur prix de revient et leur rareté. Nous préviendrons. .. Ce qu'il faut c'est promouvoir l'imagination, stimuler la curiosité intellectuelle, n'accueillir que ce qui fait écho à un lyrisme, à une passion. Refouler les scléroses et les momifications. »

J.P.

Auteur J.P.

Publication La Libre Belgique

Performance(s)

Date(s) 1970-06-24

Artiste(s)

Compagnie / Organisation