Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

28-6-1970

AU THEATRE 140

Le Théâtre « La Mama » de Londres dans « The Hilton Keen Show »

Le Théâtre « La Mama » de Londres est issu de la célèbre « Mama » de New York, club de théâtre expérimental, créé par Ellen Stewart. Les acteurs de la troupe new-yorkaise ont été habitués — sous la conduite de Tom O'Horgan — à se servir de la danse, de l'improvisation gestuelle, d'étoffes et d'accessoires, pour former et défaire des images théâtrales en un jeu incessant. Les « machines de théâtre » de O'Horgan évoquent Peter Brooke. Pour la Mama une pièce c'est « deux heures et demie d'action ». Cette méthode forme de parfaits comédiens. Le « comédien total » pour spectacle total.

La Mama de Londres, fondée par deux transfuges de New York est de cette veine-là. Le spectacle qu'il a présenté (deux soirées) au Théâtre 140 porte un titre suffisamment clair : « Votre chance en hausse grâce au dynamique super-animateur Hilton dans le plus formidable des TV-shows réunissant toutes les vedettes de la semaine. »

Au premier degré, c'est un spectacle pour athlètes complets de l'art du comédien. Au deuxième degré, c'est une foire. Au troisième degré c'est une réflexion sur un phénomène sociologique : les émissions démagogiques, et souvent répugnantes, de la télévision anglaise et américaine.

Le spectacle sera reçu différemment selon que le public connaît par expérience ou ne connaît pas ces émissions qui révèlent une mentalité détestable : goût de l'exhibitionnisme, mépris de la dignité humaine, cruauté foncière, sadisme, curiosité malsaine, vénalité. Qu'il existe dans les pays anglo-saxons un public pour se délecter de ces émissions est un fait. C'est ce que dénoncent, avec une verve cruelle et une crudité voulue, les comédiens de la Mama.

On peut donc voir dans « The Hilton Keen Show » un mouvement de révolte salutaire contre un phénomène largement populaire, une véritable institution acceptée par des millions de téléspectateurs. Que ces émissions soient basées sur un appétit effréné d'argent ne fait qu'ajouter à la honte; c'est ce que La Mama dénonce. Finalement, c'est la bêtise et l'infamie qui sont joyeusement clouées au pilori.

Côté spectacle, cela se traduit — pour le spectateur non familiarisé avec la langue anglaise et les mœurs insulaires — par une suite de sketches remarquablement joués, mais dont il ne peut pas mesurer toute la portée. On découvre sur la scène des comédiens remarquables se jouant des pires embûches, passant d'un personnage à l'autre avec la même force la même précision. Sous ce rapport, le spectacle est une révélation.

J. S.