Archives du Théâtre 140


Un pied dans le passé, l'autre dans le futur. Concert impressionnant du trio anglais devant un public considérable



Le Soir

9-2-1971

Emerson, Lake et Palmer, au théâtre 140

Un pied dans le passé, l'autre dans le futur

Concert impressionnant du trio anglais devant un public considérable

La direction du Théâtre 140 a refusé du monde, samedi soir, à l'occasion du premier concert en Belgique de « Emerson, Lake and Palmer », trio anglais composé de l'organiste Keith Emerson, ancien leader du « Nice », de l'ex-guitariste du « King Crimson », Greg Lake, et de Carl Palmer, ancien batteur du « Atomic Rooster ».

Le premier, on le connaissait pour l'avoir vu à l'œuvre dans ce même « 140 » et lors du festival d'Amougies. Le mystère restait entier pour les deux acolytes. Ils n'ont pas déçu.

Dans une première partie échevelée, le groupe se livra a une re-création des célèbres "Tableaux d'une exposition", de Moussorgsky. Tout en amputant l'œuvre de la moitié de ses tableaux, il en a cependant gardé comme leitmotiv la "Promenade", dont il propose une version chantée par les soins de Lake.

Si l'on excepte le thème mélodique, l'œuvre n'a plus rien en commun avec l'original. Selon son habitude, Emerson y travaille en force, imprimant aux mouvements un rythme de galopade frénétique, soutenu par cinquante baffles dont la puissance de volume atteint les 5.000 watts (1.000 de plus que le "Black Sabbath")!!!

Le Moog

L'organiste, en outre, y manie un générateur de sons appelé "Moog synthesizer" (du nom de son inventeur Robert Moog) qui devrait, à brève échéance, faire exploser les canons traditionnels de la composition. L'engin ressemble à un standard téléphonique, et émet des sons électroniques obtenus grâce à l'utilisation et au jeu sur les fréquences. Le résultat en est un mélange détonant de déflagrations, stridences et réverbérations sonores qui confinent à l'univers de la science-fiction. Emerson l'utilise avec une ahurissante décontraction si l'on pense que l'engin, dont la valeur approche les 500.000 francs belges, vient seulement d'être mis au point et que rares sont les musiciens à en posséder un exemplaire. Citons toutefois Georges Harrison et Walter Carlos.

Contraste impressionnant que ce son d'anticipation greffé sur une œuvre « mûre ».

C'est sans doute le principal mérite de Keith Emerson que d'avoir su créer un univers musical original, puisque l'on connaît sa diligence à assimiler des œuvres de « vétérans », tels que Bach, Sibélius, Rachmaninoff en les « travaillant » dans une tonalité actuelle, brassage de jazz et de rock « heavy ».

La deuxième partie, en revanche, fut davantage axée sur des œuvres du cru. E., L. et P. entamèrent "Take a Pebble", une composition de Lake (extraite de leur dernier album), douce, chaleureuse, presque tendre, dans laquelle le chanteur prouva qu'il valait mieux que la qualification de « faire-valoir » dont l'ont affublé certains critiques, et qu'en tout cas, sa voix surpassait celle de Lee Jackson, l'ancien comparse du "Nice".

A bride abattue

On ne fut pas long à attendre le show d'Emerson. Il y a, dans toute prestation du musicien anglais, un côté cinéma qui amuse la première fois, mais finit à la longue par agacer l'observateur assidu dans la mesure où la gymnastique du récital n'accroît guère le talent, qui est grand, du virtuose.

Emerson profita donc de "Knife Edge" pour donner la mesure de ses facultés d'athlète... Son orgue cobaye, il le secoue, le tapote, lui murmure des mots fous à l'oreille, lui triture les méninges, lui fait dresser les notes sur la tête, le chevauche pour se couler enfin sous lui avant de le poignarder, ô rage, avec une délicatesse infini! Mais l'instrument en a vu d'autres et continue imperturbable, à égrener ses plaintes de joujou vedette...

Le happening eut l'heur de plaire au public subjugué, et Emerson conlut sur un point d'orgue, si j'ose dire, avec "Nut Rocker", qu'il servi admirablement dans le même temps que Palmer y allait, lui aussi, d'un long solo de drums et de gongs.

En dépit de leur penchant à la seule virtuosité technique et à la froideur trop intellectuelle, Emerson Lake and Palmer ont donné, samedi soir, l'assurance qu'ils se comportaient en intrumentistes capables d'inventer un son personnel, souvent criblé de beautés fulgurantes.

André DROSSART.

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s) [concert]

Date(s) du 1971-02-06 au 1971-02-07

Artiste(s) EmersonLake and Palmer

Compagnie / Organisation