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Pourquoi avoir titré: Grève du spectacle au Théâtre 140? En signe de protestation contre l'atteinte à la liberté d'expression dont le théâtre a fait l'objet



Pourquoi avoir titré : GREVE DU SPECTACLE au THEATRE 140?

En signe de protestation contre l'atteinte à la liberté d'expression dont le théâtre a fait l'objet.

Le 15 mars 1972 à 8h45

Jo Dekmine, directeur du Théâtre 140

John Vaccaro, directeur de la troupe américaine "The playhouse of the Ridiculous"

comparaîtront devant le tribunal correctionnel / 21e chambre au Palais de Justice de Bruxelles (Place Poelaert).

Motif de l'accusation :

"Prévenus d'avoir à Schaerbeek, même canton, entre le 19 avril 1971 et le 26 avril 1971, à plusieurs reprises, pour avoir exécuté l'infraction ou coopéré directement à son exécution ou pour avoir par un fait quelconque prêté pour l'exécution une aide telle que sans son assistance le délit n'eut pû être commis, publiquement outragé les moeurs par des actions qui blessent la pudeur (pièces "Heaven Grand in Amber orbit" et "Cockstrong" par le Ridiculous de New York)."

Les faits ou que s'est-il réellement passé?

Du 19 au 24 avril 1971, le Théâtre 140 accueille la Compagnie américaine "Ridiculous" de New York, dirigée par John Vaccaro, dans le cadre de l'action que mènera à travers Schaerbeek le Théâtre 140 avec la collaboration de l'Algol et la Commune de Schaerbeek.

La troupe présentera deux pièces de son répertoire : "Cockstrong" et "Heaven Grand in Amber orbit". Deux spectacles qui dénonçaient la veulerie et l'hypocrisie.

Le vendredi 23 avril, avant dernier jour de la série, à l'issue de la représentation, la police envahissait la salle et la faisait évacuer avec brutalité. Après l'évacuation, les policiers s'emparaient dans les coulisses de divers accessoires et détruisaient les éléments du décor, particulièrement une baudruche géante ayant l'aspect d'un phallus.

Le samedi 24 - le lendemain - le Collège Echevinal de Schaerbeek s'opposait à l'ordre du parquet d'interdire la poursuite des représentations du spectacle. A l'issue d'une séance extraordinaire, le Collège Echevinal déclarait qu'il n'y avait pas lieu d'interdire les représentations. La séance du 24 avril se déroula normalement devant une salle archi-comble, curieuse de voir ce que la justice estime devoir attaquer, le spectacle se déroula normalement, quoi que ce fut la plus mauvaise représentation, les comédiens étant très tendus, s'attendant à une nouvelle provocation policière qui n'eut pas lieu; nous crûmes comprendre qu'ils s'étaient aperçus de leur erreur.

Le lundi 26 avril, dès le coup des 7 heures du matin, le Parquet descendait à l'Hôtel où logeaient les comédiens de la troupe américaine et les embarquait dans des voitures à destination du Palais de Justice. Ils y furent interrogés. On ne relachera la troupe qu'à 13 heures.

D'autres faits significatifs :

- de nombreux spectateurs qui avaient assisté à la représentation du 23 avril ont signé spontanément une pétition de protestation contre l'intervention du Parquet après la représentation. Ajoutons que certains spectateurs, dont un fonctionnaire du Marché Commun, ayant été bousculé par les agents de la BSR protestèrent. Ce même fonctionnaire se voit aujourd'hui accusé de "rébellion".!

- invitation à la plainte?

Des spectateurs du 140 ont tenu à signaler qu'ils avaient été sollicités par certaines personnes bien intentionnées et en trench-coat à la sortie des représentations du "Ridiculous" pour porter plainte ...

- on a découvert que certains signataires de la plainte déposée - et qui a décidé le Parquet à intervenir - n'avaient pas vu le spectacle!

- les journaux, la radio, la presse française se sont indignés de cette provocation policière. Différentes émissions - radio et TV - ont même évoqué des représentations d'une des troupes représentatives des nouvelles tendances du théâtre actuel aux Etats-Unis.

- dans ce spectacle où aucune poitrine féminine, aucun sexe (les poils de pubis dans les rapports de police sur le spectacle Paradise Now par le Living Theatre semblent être une des premières préoccupations de la police), n'étaient visibles, seuls des accessoires ou des éléments de décor caricaturant cet emblème phallique.

- un mot de Vaccaro : "Heureusement qu'il n'a pas regardé à l'intérieur de ma tête, c'est plein de sexe".

Vous lisez plus haut le résumé des faits truffé de "grossièretés" imposées par la vulgarité même du motif de la répression. Ramenons ceci maintenant à notre réel souci, qui est de ne pas se tromper sur la signification profonde d'un spectacle, de ne pas confondre les exigences "intactes" d'un langage théâtral et la complaisance commerciale, la pornographie qui, elle, - c'est bien prouvé - ne dérange pas l'establishment, entre dans le système subi.

J'ai toujours veillé à éviter au théâtre l'exhibitionnisme gratuit, et, s'il m'est arrivé d'être "trompé", le public alors et les artistes ont connu mon opinion.

Une journaliste m'écrit ceci qui traduit parfaitement ce que je ressens :

"La seule véritable moralité est la responsabilité. Il n'y a, pas de responsabilité assumée par celui qui ferme les yeux et qui refuse de se laisser interpeller.

L'érotisme : l'essence même du théâtre est érotique, par la nature même de son matériau : le corps, la voix, l'espace, les objets. Le spectateur qui l'accepte implicitement, le refuse quand cette essence s'explicite, dans le nu par exemple. Le travail théâtral et le travail du spectateur est un travail de réassomption de soi.

Le nu du strip-tease, du music-hall, etc, est un nu non subversif car il est situé de manière à provoquer une série d'attitudes et de réactions stéréotypées, (le clin d'oeil) qui sont conformes aux impératifs sociologiques. Le nu du théâtre contemporain dérange car il impose la présence d'un corps encombrant, par rapport auquel les réactions usuelles sont impossibles ou inadéquates : il échappe au réflexe de la possession ou rend celui-ci contradictoire. Il met donc en question. C'est cette mise en question (qui est mise en question de son désir) que le spectateur ne supporte pas toujours aisément.

En ce sens, par sa mise en question, par son pouvoir de suspension, le théâtre contemporain a une portée politique. Il fait apparaître la possibilité de rapports au monde et aux êtres qui n'ont pas cours dans la société existante. Donc, une fois encore, il dérange."

Jo Dekmine.

Auteur Jo Dekmine

Publication None

Performance(s) Cockstrong

Date(s) du 1971-04-20 au 1971-04-25

Artiste(s) The Playhouse of the Ridiculous

Compagnie / Organisation