Archives du Théâtre 140


'Fata Banana' par le Scarabee de La Haye



La Libre Belgique

7-6-1971

Au Théâtre 140

"Fata Banana" par le Scarabee de La Haye

La saison se meurt, mais Jo Dekmine ne se rend pas. Il accueillait, ce week-end au « 140 », une troupe néerlandaise qui bénéficie d'un renom flatteur dans les cénacles d'avant-garde : le « Scarabee », de La Haye, reprenant et perfectionnant des procédés chers à la Lanterne magique tchèque, et qui présente des spectacles à caractère audio-visuel et de très remarquable tenue.

La scène est occupée par les fines armatures d'un appareillage complexe et mobile : décors transparents, facilement escamotables, réseaux de stores vénitiens aux lamelles prestement déroulées. C'est dans ce décor linéaire qu'évoluent les acteurs — trois garçons et trois filles en collant — personnages économes de gestes, et sur lesquels viennent glisser des éclairages polychromes, des films, des montages de diapositives.

Les spectateurs suivent ces tableaux animés à l'aide d'écouteurs, qui déversent de la musique concrète, une prose poétique en langue néerlandaise, des cadences de jazz, de pop music ou des bribes de motets à l'orgue. L'ensemble est réglé à la perfection selon les lois d'une alchimie d'esprit très moderne, non dépourvue d'ésotérisme, mais toujours fascinante.

On appréhende au passage des amorces de thèmes, le plus souvent satiriques, antimilitaristes et dirigés contre les formes du bellicisme yankee. Le drapeau américain, par exemple, remplace bientôt d'autres pavillons sur une série d'écrans de télévision, puis on voit une victime des combats dans un sacrophage tandis que retentit un discoure martial. D'autre intentions sont moins claires. Elles visent sans doute à illustrer diverses facettes de la mythologie contemporaine, de la publicité de néons aux uniformes capitonnés de la science-fiction.

En l'occurrence, l'un des principaux mérites du « Scarabee » est de proposer un « spectacle total » en réduction où viendraient s'amalgamer toutes sortes d'influences : le canular et les rébus surréalistes, les tons psychédéliques du pop art, les agressions visuelles, cependant supportables, de l'art optique, des textes incantatoires à la Marguerite Duras, du jazz à la Miles Davis, une animation cinématographique à la Norman Mac Laren, des projections expressionnistes à la Karel Appel, entre autres. Rien d'étonnant à cela si l'on pense qu'un des animateurs de la compagnie n'est autre que le peintre Lucebert, lié au groupe Cobra.

Dans ce « Fata Banana » — titre gratuit qui rappelle la « Soupe au canard » des frères Marx — il est évident que l'on souhaiterait plus d'alacrité dans le rythme, moins d'insistance dans l'une ou l'autre séquence macabre, mais pour sophistiquée qu'elle soit, cette entreprise n'en est pas moins singulière, intéressante et soignée. En outre, on nous épargne les outrances par trop grotesques de la dérision forcenée ainsi que le déplaisant recours à l'érotisme de choc.

Le « Scarabee », pour tout dire, nous a paru gagner la partie là où le « Ridiculous Theatre » de New York l'avait précédemment perdue en ces lieux.

J.Z.

Auteur J.Z.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Fata Banana

Date(s) du 1971-06-04 au 1971-06-06

Artiste(s) Scarabee (Den Haag)

Compagnie / Organisation