Archives du Théâtre 140


Le Scarabée de La Haye



La Relève

12-6-1971

LE SCARABEE DE LA HAYE

LA chroniqtle théâtrale aurait probablement été mieux tenue ou, avec plus d'enthousiasme, par ceux qui, à mes côtés, assistaient à la représentation de Fata Banana par le Scarabée de La Haye, au 140. Est-ce méconnaissance de la langue néerlandaise, humeur chagrine ou lucidité? Je n'ai pas apprécié sans réserves les grandes qualités de ce spectacle. D'une manière générale, son caractère novateur me paraît résulter de l'adaptation à la scène de découvertes faites ailleurs, dans le domaine plastique, plutôt que d'une créativité spécifique. Cette impression est accentuée par l'usage des plans fixes (ou des tableaux vivants) qui ne nous changent guère des œuvres axées sur la recherche d'environnements. Il est vrai, par ailleurs, que les limites entre ces deux arts peuvent devenir extrêmement ténues et que le travail du Scarabée est principalement inspiré par un peintre : Adri Boon.

Le spectacle repose sur la discontinuité des plans et la superposition des techniques, la projection filmique venant ombrer et animer les silhouettes humaines prises alors comme fond ou venant s'y juxtaposer. A côté de moments subtils et forts à la fois (je pense au lent démaillement filmique d'un tricot sur les personnages), il y a malheureusement des redondances d'une grande platitude : ainsi, à la séquence d'un cercueil (dédoublé cinématographiquement avec astuce) succède la longue séquence filmique d'asticots grouillants. Il y a dans ces variations parodiques sur la technique, le sexe, la mort, l'information, une certaine banalité. L'imagination me paraît davantage liée à l'inventivité technique qu'à une créativité profonde. Sous une apparente audace règne le poncif (fût-il critique).

EST-CE un parti-pris? Il me semble qu'il y a souvent dans les recherches européennes une conformité aux impératifs de l'avant-garde U.S.A. qui en manque malheureusement l'essentiel : la violence intérieure, la mise en cause radicale des structures nationales (l'auto-critique). Ce défaut de force autonome est alors suppléé par un déploiement technique certes subtil mais moins efficace que la vigouieuse simplicité, même très élaborée, du modèle. Les Américains ont une intelligence spontanée du sensible ; nous ne pouvons jamais que la reconstituer.

Séduite par les inventions déployées, par l'habile procédé des collages, je ne me suis pas sentie assez concernée par les phantasmes du Scarabée. J'ajoute que le système de réception du son par écouteurs détermine certes chez le spectateur un type de rapport original au spectacle. Mais le choix offert entre deux « programmes » de sons pour les mêmes images ne m'a pas semblé convaincant : on ne peut de toutes manières en recevoir qu'un, et de savoir qu'un autre serait possible n'est pas pour autant générateur de liberté : l'imaginer c'est avoir de la liberté une conception assez limitée. Peut-être est-ce le décalage entre cette liberté de presse-bouton et l'idée que je m'en fais qui a d'emblée refroidi mon enthousiasme : une liberté aussi dérisoire est plus contraignante que la nécessité.

Mais le Scarabée est à revoir. Il est installé, rappelons-le, non loin de Bruxelles : à La Haye.

Fr. COLLIN.

Auteur Fr. Collin

Publication La Relève

Performance(s) Fata Banana

Date(s) du 1971-06-04 au 1971-06-06

Artiste(s) Scarabee (Den Haag)

Compagnie / Organisation