La Libre Belgique
14-10-1971
« POP MUSIC » AU THEATRE « 14O »
« VELVET UNDERGROUND » et « JELLY FISH »
Comme un concert de « Pop Music » peut être déconcertant! Mardi soir, pour l'ouverture de la 9e saison du Théâtre 140, on se réjouissait d'entendre un groupe américain précédé d'une flatteuse réputation, le « Velvet Underground », auquel le parrainage du peintre d'avant-garde Andv Warhol, mais surtout quelques albums 33 tours avaient conféré certaine aura de prestige. D'autre part, la présence de l'ensemble belgo-franco-néerlandais « Jelly Fish » paraissait surtout destinée à assurer le « remplissage », toujours ingrat, d'une première partie.
Eh! bien, à l'autopsie, comme on dit familièrement, il s'est révélé sans discussion possible, que la hiérarchie présumée des valeurs devait être catégoriquement inversée en ce qui concerne ces deux formations... Lors de leur présentation sur scène, Jo Dekmine, le directeur du « 140 », avait, du reste, passé le bout de l'oreille en déclarant que la comparaison ne tournerait pas nécessairement en la défaveur des représentants du Vieux Continent. Il ne croyait certes pas si bien dire, tant il est vrai qu'il n'y a même pas eu tournoi. « Velvet Underground » s'est comporté comme ces défaillants du tennis qui passent la main par « walk over ».
Ce quatuor yankee n'est qu'une baudruche qu'il convient de dégonfler, du moins dans sa forme actuelle. De l'équipe initiale constituée en 1966 du côté de Greenwich Village, ne subsiste qu'un seul membre, auquel le talent ne semble pas avoir été donné en partage : la batteuse rouquine Maureen Ann Tucker, qui vous malmène ses instruments comme il n'est pas permis. Notre Verviétoise, Miss Pelzer, devrait lui donner quelques leçons outre-Atlantique!
Le groupe n'a donc pas échappé à l'émiettement qui fait passer tant d'entreprises collectives, « pop » ou non, de vie à trépas. On ne peut plus parier de style « pop » à propos de « Velvet Underground », puisque aussi bien ses interprétations nous reportent, tout bêtement, et en moins bien, à l'époque rock and roll de Bill Haley, Vince Taylor, etc. La surcharge des décibels ne suffit pas à donner le change. Pas plus qu'un « hommage » incongru à... Memphis Slim!
Cette décevante prestation ne réussit qu'à valoriser, a posteriori et par l'absurde, celle de « Jelly Fish », quintette européen qui, pour sa part, a compris ce qu'est non seulement le rituel de la « pop » (vaste déploiement d'amplis, morceaux de longue durée, décontraction apparente en scène), mais encore la voie noble de ce rameau du Jazz. La « pop », ainsi conçue, prolonge ou enrichit le jazz, tout en assumant une tâche exploratoire dans l'assimilation de sonorités nouvelles. On ne répétera jamais assez que l'étalon-or de ces groupes « prospectifs » demeure la « Soft Machine », aux côtés de « Pink Floyd », « Chicago Transit Authority » et quelques autres pas si nombreux. « Jelly Fish » se place, à quelques encablures, dans leur sillage. Certes, l'orgue électronique crée un envoûtement certain en frisant les limites du supportable, certes, on atteint ici à un nouvel impressionnisme composite, mais à force de vouloir trop démontrer — abusions en chaîne à la musique arabe, indienne, au flamenco, au chant tribal, aux marches villageoises, à la bourrée, sur des assises de be-bop — le groupe n'échappe pas à une certaine confusion. Il n'en reste pas moins que Devries, Debruyne, Arnaudeau, Tonv Tans atteignent souvent à des effets hallucinants, à un lyrisme pathétique, surtout lorsque Freddy Deron, à la trompette électrique, témoigne de son agilité, de sa verve, tout en dominant la pâte sonore de ses coéquipiers chevelus. Finalement, fut « Jelly Fish » qui sauva la soirée.
J.P.
Auteur J.P.
Publication La Libre Belgique
Performance(s) [concert]
Date(s) 1971-10-12
Artiste(s) The Velvet Underground
Compagnie / Organisation