Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, 'Magma' en vedette



La Libre Belgique

15-11-1971

AU THEATRE 140

« Magma » en vedette

Avouons qu'il était temps, grand temps, plus que temps, de voir surgir, au sein de la pop music française une formation capable de tenir la dragée haute aux Anglo-Saxons en rompant leur monopole.

C'est à « Magma » qu'en revient à la fois la primeur et l'honneur. La venue de ce groupe en Belgique, où, dit son porte-parole, il n a jamais été si humainement reçu, a constitué une surprise de dimension.

Là où, par manque d'information, on s'attendait à ne découvrir qu'un groupe de plus strictement Interchangeable on eut, du début à la fin du récital, donné au Théâtre 140, la révélation d'un ensemble passionnant dont l'art expérimental ne se satisfait plus de tâtonnements mais présente un caractère autonome déjà abouti.

Bien entendu, il n'y a pas de miracle. La valeur de « Magma » s'explique par diverses raisons bien précises: tout d'abord le bagage et la technique de chacun des 7 exécutants, du chef de file Christian Vander, fils de musicien connu, à François Cahen, tous ont été élevés dans le sérail, dès l'adolescence, et ont acquis de solides connaissances mutuellement entretenues dans un esprit d'oecuménisme musical. Ensuite, la rigueur des orchestrations, où rien n'est laissé au hasard sous l'apparence d'une marqueterie sonore. Pas une note qui ne soit voulue, pas un accord qui ne soit nécessaire, pas une transition, pas un changement de rythme, pas une intervention de soliste qui ne soient conçu en fonction du résultat global à obtenir, un langage original prospectif mais codifié.

En écoutant « Magma » en scène, l'oreille capte un maelstroem d'influences diverses de Honegger à Duke Ellington, de Stockhausen à Ornesse Coleman, de Kurt Weill à la Bossa Nova, de Berg à « Hair », de la musique de films pour feuilletons héroïques aux cris des Blues Shouters, les galops de Khatchatourian à la Soft Machine, en passant par la musique sérielle. Il se fait, cependant, que tout s'interprète et s'ordonne. Ce qui importe en art, autant que in nature du matériau, c'est la façon de l'agencer. On peut créer un chef-d'œuvre d'architecture avec des pierres, de la brique, du verre ou du ciment; de même en musique.

Outre ce travail de synthèse, « Magma » apporte sa contribution imaginative aux nouveaux courants par sa faculté d'intégrer l'opéra à la pop musique. Un chanteur, Klaus Blasquiz, venu du pays basque détaille en contrepoint une sorte d'espéranto chanté en scat avec un timbre majestueux de baryton pour chœurs russes. Et c'est merveille de voir et d'entendre cette voix s'harmoniser avec la basse de Francis Moze, la trompette de Louis Toesca, la clarinette basse de Jeff Siffer, le sax alto ou la flûte de Teddy Lasry.

En foi de quoi, il ne reste qu'à souhaiter longue vie à « Magma ». Puisse-t-il continuer à pérégriner en menant le combat pour une musique toujours fraîche, en évitant les détériorations ou la dissolution de l'esprit qui façonne les impressions en provenance du monde extérieur.

J.P.

Auteur J.P.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) [concert]

Date(s) du 1971-11-12 au 1971-11-13

Artiste(s) Magma

Compagnie / Organisation