Archives du Théâtre 140

Le Soir

18-11-1971

APRES UNE TOURNEE A SUCCES

Il y a dans « Magma » un volcan qui sommeille

Ce n'était pas la première apparition de Magma en Belgique. La formation de Christian Vander s'était produite à Quaregnon, au mois de septembre. Elle y avait donné un concert de toute beauté.

A l'occasion de sa récente tournée en Belgique (1), qui l'a conduit dans de nombreuses villes belges, ainsi qu'au Théâtre 140 et au Pol's Jazz Club, le groupe français n'aura sans doute laissé derrière lui qu'une impression des plus favorables. Partout l'accueil fut chaleureux, enthousiaste. C'est justice dans la mesure où, avec Magma, la musique sort non seulement gagnante à tous les coups, mais revigorée, grandie, et prête à un nouveau départ. Ses alliés se font aujourd'hui si rares qu'elle aurait tort de ne pas accueillir à bras ouverts, ces sept garçons qui le lui rendent si bien. A la section rythmique : le percussionniste Klaus Blasquiz, le pianiste François Cahen, le bassiste François Moze et le batteur Christian Vander qui tient également les rênes du groupe, complété par trois « cuivres » : Teddy Lasry (clarinette, saxe, flûte). Jeff Seffer (saxe et clarinette basse) et le trompettiste Louis Toesca.

La difficulté d'être français

L'originalité, la ferveur, l'intransigeance et la fierté caractérisent

Magma. Il est difficile aujourd'hui, dans le domaine de la pop music d'être français, car les critiques et le public ont jusqu'à présent stigmatisé, à juste titre, l'anémie ou l'académisme d'outre - Quiévrain. Pourtant, ces temps derniers, quelques noms sortent de l'ombre, mais ils font office, avant tout, de musiciens de variétés plutôt que de créateurs. On pense à Triangle, Zoo, Martin Circus. D'autres, en revanche, calquent leur démarche sur celle des formations « pensantes » de l'instant (Pink Floyd, Soft Machine) et, soit par manque de formation technique, soit par la faute d'une conviction ou d'une inspiration chancelante, finissent tôt ou tard par s'asphyxier.

Magma, lui, est assuré de respirer longtemps encore. Chaque soliste est doté d'une technique adulte. La section rythmique équilibre parfaitement celle des cuivres. La formation ne possède pas de guitariste, mais un seul bassiste alors que jusqu'il y a peu il eût été impensable d'imaginer un orchestre sans guitariste. Chacune des compositions repose sur un métier d'écriture stable et sur une respiration rythmique (l'élément le plus neuf apporté par Magma) à la fois nerveuse et hargneuse, mais capable de souplesse aux moments ad hoc.

Un trio assure la partie vocale : Vander, Lasry et Blasquiz. Ce dernier, en particulier, qu'on dirait sorti d'un roman de Tolstoï, bénéficie d'une solide voix de baryton, contrepoint sonore à la partie instrumentale et qui contraste par sa disponibilité, son éclectisme et son humour, avec le volume sculptural des compositions.

Braises et rêves

Autre élément de surprise, l'utilisation d'une langue imaginaire, sortie tout droit des élucubrations de Christian Vander, proche dans ses consonances et sa structure syllabique des langues slaves et qui, tout en distillant une ligne mélodique suggestive, sonne comme dans des opéras de Wagner.

Pas un instant de répit dans ces concerts! Du plein, du volcanique, du fulgurant, du beau!

Son nom l'indique : la musique de Magma bouillonne à l'instar d'une lave incandescente. On la sent prête à rompre des digues. A jaillir, terroriste, pour rompre l'équilibre des choses. Elle possède une énergie, déjà soupçonnable, qui devrait encore décupler dans un avenir proche. Car Magma, n'en doutez plus, est fin prêt à sortir des canons traditionnels de la musique pop et à se tracer une voie tout à fait personnelle qui le classera dans la foulée des grands créateurs actuels. Zappa et Soft Machine.

Le fait que leur destinée soit prise en charge par Giorgio Gomelsky (l'ancien imprésario des Rolling Stones et des Yardbirds) est là pour le prouver.

André DROSSART.

(1) « Magma » donnera un concert gratuit jeudi soir au Théâtre 140.