Archives du Théâtre 140


'Zartan' par le Magic Circus et ses 'animaux tristes' (ce n'est pas vrai: ils sont gais)



Le Soir

27-11-1971

Au Théâtre 140

« ZARTAN »

par le Magic Circus et ses « animaux tristes » (ce n'est pas vrai : ils sont gais)

Imaginez que par la grâce d'un magicien farceur, un rayon de jouets et de vieux albums du petit journal illustré « L'Intrépide », subitement s'animent, deviennent spectacle burlesque, satirique et féerique. Vous vous frotteriez les yeux en éclatant de rire! Or, c'est à peu près cela que Jérôme Savary a créé, en composant pour la scène ces « Chroniques coloniales » qui content dans un rythme endiablé les aventures de Zartan, le frère mal aimé de Tarzan. Elles ne tendent à rien d'autre qu'à peindre, dans le climat du brave petit cirque de village, et dans des couleurs criardes, un certain monde que nous connaissons tous — et qui apparaît ici dans la fraîcheur originelle de l'innocence —, mais d'une innocence fichtrement bien calculée.

Dans un décor de carton-pâte où des bananiers voisinent avec un piano et des tigres de papier (vous voyez bien qu'ils existent!), vous verrez un explorateur anglais, M. Lee, et son épouse-dans-l'attente-d'un-heureux-événement, affronter les périls de la forêt amazonienne. Ils y perdront du reste la vie, et leur bébé, Zartan, sera recueilli par une guenon affectueuse, et élevé parmi les singes.

Il aurait pu couler des jours paisibles ce jeune garçon-quadrumane, si Madame Louise de Londres n'était venue lui mettre la cervelle à l'envers. Il la suivra partout, en Afrique, en Amérique, mais ceci ne serait que parodie légère si, pour étoffer le récit, lui donner sa dimension et sa résonance sociale, il n'y avait dans le sillage du « héros » une sorte de cortège d'« animaux tristes » ainsi que toutes sortes de personnages significatifs et hauts en couleurs. C'est un bal costumé absolument hilarant, un véritable cirque en folie!

On s'y déguise en tigre, en singe, en éléphant — il y a aussi un vrai coq et un authentique pigeon qui tiennent fort bien leur partie — qui côtoient pêle-mêle une chanteuse de cabaret, des conquistadors, des Incas, un adjudant de la coloniale, un moine, des acrobates, des danseurs et des danseuses, des musiciens, et j'en passe, et au bout de cette fresque échevelée, nous verrons Zartan épouser... la reine d'Angleterre! C'est irrespectueux? Ah diable! si on ne pouvait plus rire en rond...

Au fait, si tout cela est comique c'est parce que le spectacle est joué avec le sérieux qu'ont les enfants quand, émerveilles, ils lisent une incroyable histoire, la bouche entrouverte et la langue un peu sortie. Comme eux, on est transporté ailleurs, loin de la banalité des jours — oui, en vérité, ce circus est vraiment magique, il possède tout pour éblouir et faire danser l'esprit.

Peut-être objectera-t-on que « Zartan » n'est pas du théâtre. Au sens conventionnel, certainement pas. Et pourtant, c'en est. C'est une erreur de croire qu'il n'y a qu'un théâtre. En réalité, il y en a deux : le bon et le mauvais. Le second est à pendre haut et court, et le premier déploie aujourd'hui un éventail où voisinent tous les genres, et cet éclectisme est heureux puisqu'il permet à chacun de choisir selon son humeur, ses idées, ses goûts. Qu'on se rassure, « Zartan » ne tuera pas le « Le Cid ». Son sabre n'est qu'un sucre d'orge — mais, rival du roseau, c'est un sucre d'orge pensant…

Un conseil cependant : si vous n'aimez pas les spectacles bruyants les nuages fumigènes, les mots crus et les façons mimi-patte-en-l'air, évitez ce « frère mal aimé », restez fidèle à Tarzan.

Marcel VERMEULEN.

Auteur Marcel Vermeulen

Publication Le Soir

Performance(s) Zartan, frère mal aimé de Tarzan

Date(s) du 1971-11-25 au 1971-11-28

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Le Grand Magic Circus et ses animaux tristes