Archives du Théâtre 140


'La Mama' de Londres au 140: une synthèse du théâtre moderne



Le Soir

29-1-1972

« La Mama » de Londres au 140 ; une synthèse du théâtre moderne

Qu'est-ce qu'un fou? Qu'est-ce qu'un psychiatre? D'où viennent ces deux espèces récentes, tellement récentes qu'on les dit créées par notre civilisation moderne? C'est un peu ces questions que quatre acteurs de la Mama de Londres et deux musiciens-chanteurs ont posées à leur manière, lors de la représentation de « R. M. Renfield Age 29 » au Théâtre 140. Cette création collective montée pour la première fois à Londres il y a à peine quinze jours est, malgré son sujet, loin d'être démentielle ou psychologique. C'est au fond un spectacle assez classique, qui fait une bonne synthèse des qualités du bon théâtre.

R. M. Renfield, donc, est fou. Tous les psychiatres vous le diront. Ils ne feront en cela que confirmer un diagnostic sentencieux de trois de leurs confrères qui se sont penchés sur le cas troublant de ce « lunatique », comme il se définit d'ailleurs lui-même. Pourtant, notre homme a des périodes où il reprend contact avec la réalité. Et c'est pour accuser : accuser la société de l'avoir acculé à son état, en l'empêchant de vivre, libre comme un oiseau, comme un insecte... ; accuser aussi la science d'être incapable d'expliquer valablement son cas, d'expliquer le mystère du monde.

Puis il a des moments de démence, « spontanés » ou créés par une séance « thérapeutique ». C'est la partie la plus brillante, la plus colorée, la plus « cinématographique » de la pièce. Renfield revit des scènes de l'époque élizabéthaine, il recrée le fracas d'une tempête, il se croit dans une garden-party victorienne et dans d'autres milieux qui ne sont pas sans rappeler le « voyage » de la drogue.

C'est là aussi qu'on retrouve des thèmes qui semblent chers à la nouvelle vague anglo-saxonne : Jésus-Christ, auquel le « lunatique » s'assimile (voyez Jésus-Christ Superstar), le démon, qu'on soupçonne d'être en lui (comme dans Les Diables, de Ken Russel).

Toutes ces évocations ne sont jamais pesantes à regarder, tant la maîtrise de la scène est grande chez cette troupe de jeunes artistes. La mise en scène est véritablement chorégraphique : plusieurs moments sont même dansés. La mime n'est pas non plus négligée : bien au contraire, elle a une importance et un caractère acrobatique qui rappelle ce grand du théâtre moderne qu'est le Polonais Grotowski. Enfin, il faut parler de la couleur de l'éclairage qui intervient comme un élément primordial du décor, isolant plus ou moins nettement telle ou telle partie de l'action, au rythme des situations.

La représentation est de plus habillée de musique (piano et guitare) et de chansons, sorte de « folksongs », très douces et pourtant fort rythmées, toujours très mélodieuses et poétiques. Et quand on parle de musique, on ne peut ignorer celle de la langue anglaise, dont toutes les consonances sont utilisées pour forger un texte limpide et cadencé, tout en allitérations et peut-être même en contrepèteries... Mais pour les apprécier, il faudrait être rompu à toutes les astuces de la langue de Shakespeare! Dans le théâtre moderne, le texte a moins d'importance que jadis. Certes! Mais quand même... Et comme une traduction n'arrangerait rien, il ne reste qu'à ceux qui veulent tirer du spectacle toute sa substance, qu'à se tourner à l'école.

Bref, c'est un spectacle d'une indéniable qualité que nous a offert la Mama de Londres, mais aussi un théâtre qui, plutôt que d'apporter un élément révolutionnaire, fait une bonne synthèse des évolutions récentes de l'art scénique. Un dernier mot enfin pour saluer le talent exceptionnel de Paddy Swanson, un schizophrène éloquent comme s'en souhaiteraient beaucoup de psychiatres...

Jacques PONCIN.

(Après ses trois représentations au Théâtre 140, la Mama de Londres ira à Verviers, le 31 janvier ; à Louvain, le 1er février; au Théâtre de

la Communauté de Seraing, le 3 ; à Tournai, le 4, et à Mons, en matinée, le 5.)

Auteur Jacques Poncin

Publication Le Soir

Performance(s) R.M. Renfield Age 29

Date(s) du 1972-01-27 au 1972-01-29

Artiste(s) La Mama (Londen)

Compagnie / Organisation