Archives du Théâtre 140


Sept manières de traverser une rivière



Le Soir

13-4-1972

A la Maison communale de Schaerbeek

Sept manières de traverser une rivière

Lodewijk de Boer a écrit, et mis en scène, une pièce que Jo Dekmine — jouant à gendarmes et voleurs — a produit, mardi soir, dans la grande salle de la Maison communale de Schaerbeek. De Boer est cet « enfant terrible » de la jeune génération hollandaise qui, après avoir été pendant dix ans violoniste au très sérieux Concertgebouw d'Amsterdam, s'est tourné vers le théâtre d'avant-garde. A Bruxelles, il signait récemment la mise en scène des Menottes aux fleurs, d'Arrabal, ce qui lui a valu, mardi soir, un premier succès de curiosité.

L'auteur a dit de sa pièce qu'elle est un « puzzle ». On ne le démentira pas. Mais s'il est permis aux auteurs de théâtre de commettre toutes les audaces et toutes les agressions à l'égard du public, il n'est pas de mise que les critiques s'écartent de leur grande sérénité. On n'avouera donc pas avec trop de fracas avoir été profondément choqué par la vulgarité verbale et scénique, avoir eu le tympan malmené par ces cris qui sont le label de de Boer, avoir subi en quelques heures une sorte de catalogue du théâtre expérimental. On dit bien « subi », et il faut reconnaître que l'auteur hollandais aura réussi à capter sinon à captiver l'attention de son public d'un bout à l'autre du spectacle.

Mais à quel prix! Ce puzzle est fait de morceaux récoltés un peu partout. Ce sont les visions classiques et grecques à la Cacoyannis au début, puis la fête foraine à la Fellini, puis tout le Nô japonais qu'on croyait épuisé dans sa pièce précédente, Les Dards.

— J'irai te porter des fleur.

— J'irai cracher dessus.

Ce dialogue poli (car il en est de beaucoup plus scatologiques) entre amants serait percutant si Prévert n'était passé déjà. Et cette impression d'emprunts est permanente et gênante.

Pourtant, le thème était beau : cette rivière qu'il faut franchir avec tant de douleur, c'est le « Styx » qui sépare l'homme vivant, incarné, de son propre subconscient. Les passages du rêve à la réalite sont bien rendus par les acteurs de la « Nieuwe Komedie » de La Haye. Leur jeu est plein de conviction, plein de talent. Hélas! il est souvent noyé par l'arsenal redoutable de l'imagination de de Boer qui étouffe son propre texte dans les accessoires et les gadgets de scène.

De Boer est sans doute arrivé à ce point de sa carrière où l'on fait l'inventaire de tout son acquis. C'est beaucoup, presque trop parce que mal digéré On attend maintenant une œuvre authentique, personnelle, profonde, dans un style qui ne serait plus cueilli chez le voisin.

Guido VAN DAMME.

Auteur Guido Van Damme

Publication Le Soir

Performance(s) Zeven manieren om een rivier over te steken

Date(s) du 1972-04-11 au 1972-04-12

Artiste(s) Lodewijk De BoerNieuwe Komedie

Compagnie / Organisation