Archives du Théâtre 140


Le Ballet-Théâtre américain d'Anna Sokolow



La Libre Belgique

23-6-1972

Au Théâtre 140

Le Ballet-Théâtre américain d'ANNA SOKOLOW

Après Paris, avant Amsterdam, Bruxelles accueille au Théâtre 140 une compagnie new-yorkaise qui, sous la direction féminine d'Anna Sokolow, présente un répertoire où se conjuguent mime, théâtre, expression corporelle et ballet. Visiblement, cette troupe américaine cherche d'ailleurs encore sa voie...

Le spectacle proposé avenue Plasky comporte trois parties, fort inégales, au sein desquelles quelques moments de privilège ne rachètent pas tout à fait des épisodes irritants ou proches de l'ennui.

On commence par un acte sans parole dérivant directement de Samuel Beckett, l'un des pères du théâtre de l'Absurde. En blue jeans rapiécé et maillot de corps en lambeaux, un seul interprète se contorsionne en scène, tandis que rugit, crépite, grésille, siffle et tonitrue une musique électronique. Le protagoniste est censé symboliser toute la détresse de la condition humaine, à l'instar de ceux de « La dernière bande », de « Fin de Partie », de « Ah! les beaux jours », ou de Sisyphe coltinant son rocher.

Seuls accessoires à sa portée une sorte d'arbre de Noël, un lumignon descendant des cintres, un bloc de pierre, une corde, lancés des coulisses dans sa direction. Autant d'objets dérisoires que le bonhomme ne pourra utiliser en vue d'atteindre des objectifs qui se dérobent.

Ce devrait, cela pourrait être poignant. Ce ne l'est pas, la faute en incombant soit à l'absence de texte, soit au manque de « magnétisme » de l'acteur. Henry Smith a sans doute des biceps, des pectoraux, de la résistance physique, mais sa « performance » ne fait pas oublier ce que l'on image, à savoir ce qu'un Marcel Marceau eût tiré du canevas de base.

Avec « Ragtime », la morosité fait heureusement place à la détente et au rire. Un présentateur gourmé, l'excellent Charles Sumner Hayward, s'est fait une tête de Pierrot lunaire, il s'est rayé les cheveux au milieu, comme au temps des premiers 78 tours. En smoking à nœud papillon, il semble sortir vivant d'une gravure 1920. Cachant sa panique sous une fausse assurance, il compulse des fiches et entreprend de narrer, aux côtés d'un pianiste, l'évolution de la danse aux States depuis que le clavier de Jelly Roll Morton a fait cavalcador, le jazz de la Nouvelle Orléans. Deux danseurs, Lorry et Jim May, habillés comme les « flappers » chers à Scott Fitzgerald, accusent les ridicules de la danse, tout en stylisant leur caricature des gestes, attitudes et figures. C'est drôle, sans que l'on puisse toutefois écrire que l'épisode dépasse le niveau d'un très bon numéro de cabaret.

Il y a, enfin, une dizaine de « tableaux animés » inspirés par différentes toiles de Magritte. On y trouve, bien entendu, le traditionnel personnage de petit bourgeois à chapeau melon du peintre surréaliste, ainsi qu'une pomme, un miroir, des éléments de décor surgis des tableaux. Ici, la troupe Sokolow justifie un peu mieux son adhésion à la chorégraphie, spécialement dans quelques « hommages » d'une fulgurante beauté plastique; nous pensons entre autres aux déhanchements des « Amants » sur une musique de Scriabine; au « Dormeur agité », où Jim May impose sa souplesse expressive sur des rythmes de Liszt; ou à Lorry May, moulée dans un fourreau noir, illustrant « Les idées d'une acrobate ». Cette dernière interprète au masque fascinant vaut au public des instants quasi envoûtants... Les autres numéros ne soutiennent pas toujours la comparaison, versant soit dans un burlesque facile ou dans la simple récitation de poèmes...

On s'en voudrait toutefois d'insister sur les entreprises non abouties, car, enfin, il est tout de même piquant de noter que c'est à une troupe new-yorkaise que l'on doit l'idée d'utiliser Magritte de la sorte. C'est une expérience intéressante, originale, qui n'a toujours tenté personne sous nos cieux…

Auteur

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Geschiedenis zonder woorden, Magritte-Magritte

Date(s) du 1972-06-21 au 1972-06-23

Artiste(s) Anna Sokolow Players Project

Compagnie / Organisation