Archives du Théâtre 140


Médée au 140: une lente liturgie



Journal d'Europe

20-9-1972

Médée au 140

une lente liturgie

Présentée par la Mama de New York, la pièce, jouée en grec et en latin, suscite la participation du spectateur

On ne peut, manquer le passage de la Mama de New York à Bruxelles, et, moins encore quand il s'agit de « Médée ». Ce spectacle était passe trop rapidement au 140 au début du mois de juin : il y revient, pour notre bonheur, du 19 au 24 septembre, à 21 heures.

Nul ne peut prétendre connaître la Mama, car il y a seize troupes de la Mama qui se produisent à New York ou sillonnent le monde, seize troupes animées par seize esprits originaux qui s'apparentent par leur créativité profonde et leur intelligence scénique. Ellen Stewart, leur animatrice — c'est une Noire de la Nouvelle-Orléans d'une merveilleuse vitalité —, avait pourtant commencé à travailler, en 1962, dans un sous-sol qui pouvait contenir vingt-cinq personnes. On mesure le chemin parcouru. Et on admire que ce chemin soit resté si fidèle au rêve de départ : parfaitement authentique. Il suffira de voir la « Médée », réalisée par Andrei Serban, un metteur en scène d'origine roumaine, pour s'en convaincre.

Tout dans cette œuvre est d'une précision et d une rigueur remarquables. Serban prépare ses spectacles avec une rare exigence pour lui-même et pour ses acteurs. Et pourtant, il ne sombre jamais dans le formalisme ou dans l'esthétisme. La perfection des gestes, le jeu des éclairages élaborent une plastique qui est véritablement une plastique de l'âme. Mais ce qui est peut-être remarquable pardessus tout dans ce travail, c'est l'emploi des voix comme des matériaux qui ne se perdent pas dans les mots qu'ils disent.

La pièce d'Euripide, dont le thème est repris par Sénèque, est jouée en grec et en latin. Peu importe si le spectateur ne connaît pas ces langues ou s'il les a oubliées : le sens se délivre par le rythme, par l'articulation, par la tonalité plus que par les mots eux-mêmes… Serban ne s'est d'ailleurs pas soucié de conformité philologique : c'est l'épaisseur et la sonorité qui le fascinent. C'est la présence physique du corps et de la voix.

Les grands motifs tragiques s'entremêlent dans « Médée » : la douleur, la tendresse, la violence. Le jeu auquel le spectateur participe, même s'il ne lui est pas demandé d'agir, apparaît comme un rite où les hommes se célèbrent dans ce qui fait leur humanité, à travers les siècles.

Peu d'action, peu de mouvements. Il s'agit d'une lente liturgie qui incite au recueillement. Tout se passe sur une scène en forme de long rectangle aux extrémités duquel les protagonistes s'interpellent et qu'ils traversent pour se joindre. Le public, lui, limité à cent vingt personnes, est groupé tout autour, étroitement présent. Cette disposition peut néanmoins être modifiée comme elle le fut, par exemple, au Festival de Persépolis.

La « Médée », d'Andréi Serban, est un des grands moments du théâtre contemporain.

Françoise COLLIN.

Auteur Françoise Collin

Publication Journal d'Europe

Performance(s) Medea

Date(s) du 1972-09-19 au 1972-09-24

Artiste(s) La Mama (New York)

Compagnie / Organisation