Archives du Théâtre 140

Le Phare Dimanche

1-10-1972

Au Théâtre 140

« Médée » d'Euripide et de Sénèque

par la Mama de New York

Ceux qui l'avaient vu la saison dernière au 140 avaient unanimement salué l'événement. La reprise pour quelque soirs de Medée par le théâtre de la Mama de New York aura permis à un public contingenté — par le nombre de places : 120 par représentation — d'assister à un spectacle représentatif d'une des expressions les plus remarquables du théâtre contemporain. Le metteur en scène Andrei Serban a réalisé un « montage » assez extraordinaire des deux Medée antiques, celle d'Euripide et celle de Sénèque, le texte étant récité tantôt en grec, tantôt en latin (au cours de la même représentation). Ces deux langues mortes se révèlent tout à coup extraordinairement vivantes d'autant que l'expression vocale appliquée ici de manière non point gratuite contribue au contraire à conférer un relief inouï à l'aspect tragique et forcené du thème.

Toute la représentation est sous le signe du dépouillement. Nous sommes plongés au milieu d'une nuit où se déchaînent tous les monstres que l'homme porte en lui-même, et l'un des plus grands mérites d'Andrei Serban et de ses interprètes est d'avoir su trouver un style d'une grandeur sauvage qui exprime à merveille le caractère archaïque, préhistorique, barbare de la légende.

Cela dure à peine plus d'une heure, mais nous sortons de là comme d'un cauchemar hors du temps. Plastiquement le spectacle est remarquable et il a aussi un caractère fondamentalement musical. Si tous les interprètes sont excellents, Priscilla Smith réussit à donner constamment le frisson dans le rôle de Médée. Cette jeune artiste est une extraordinaire tragédienne qui épouse la fureur de son personnage avec une sincérité bouleversante.

J.L.