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Au Théâtre 140, The Cage par le San Quentin Drama Workshop



La Libre Belgique

1-12-1972

AU THEATRE 140

THE CAGE

par le San Quentin Drama Workshop

GENRE : drame documentaire.

AUTEUR : Rick Cluchey, qui fit aussi la mise en scène.

INTERPRETATION : R. S. Bailey, Mieil Murphy, Jonathan Rosen, Rick Cluchey.

DATES : Jusqu'au 2 décembre.

Quels acteurs! Solides, vrais, humains, collant au texte et à la situation comme un terrassier à la boue, comme un coureur automobile à sa machine. Ils dégagent le sentiment physique qu'ils font corps avec leur jeu, que leur jeu est la vie, que la vie est l'incarnation d'états d'âme. Les états d'âme de détenus dans une prison américaine.

Le point de départ est l'absence de toute possibilité d'isolement. Quatre hommes privés de liberté, mais condamnés à vivre ensemble, à se supporter, à s'entraider, à s'aimer ou se haïr, à se craindre ou à tout partager. Jamais seul, pour aucun acte physique, pour aucun sanglot, pour aucun rêve. Mais en proie aux phantasmes des solitudes en commun. Ce qui va entraîner les cérémonials absurdes de parodies hallucinées : de l'armée, d'un office religieux, d'un procès. Que faire quand on n'a rien à faire, et qu'un de vos compagnons erre aux bords de la démence? Entrer dans ses chimères, faire semblant de croire qu'il est général quand il se prend pour un général, s'agenouiller quand il se prend pour l'aumônier, se partager les rôles d'accusé, de procureur, d'avocat et l'appeler « Votre Honneur » dans le simulacre de procès qu'il organise.

Avec le nouveau locataire de la cellule, le public découvre cet univers, avec pitié, avec effroi, avec, à la limite, compréhension et complicité. Comment survivre dans le huis clos d'un monde sans femmes, concentrationné — pardon pour le néologisme — sur lui-même? Et de se demander, ainsi qu'il le fut dans le débat qui suivit et pour lequel la plus grande partie des spectateurs demeura, à quoi sert la prison, si — nous dit-on — 70 p.c. des anciens détenus américains y retournent parce que la ségrégation désadapte du monde et que le monde ne réintègre pas facilement ceux qui un jour ont enfreint ses lois.

Ce problème est posé avec un réalisme qui fera, comme on s'en doute, réserver le spectacle a un public averti. Ce document sans complaisance sur une réalité qui est sans doute différente de la réalité belge — mais pas au point de devoir donner aux Belges une bonne conscience impavide — est présenté, par ailleurs, avec rigueur. D'une part, en refusant tout effet facile : pas de geôliers, pas de portes qui se ferment sourdement, pas de policiers — pas non plus de politique, d'attaque contre les pouvoirs ou un gouvernement : mais le drame nu des solitudes entassées. D'autre part, en refusant toute poésie, toute esthétique, qui ne soit pas la brûlure aride des sables du désert : à l'opposé, donc, de l'écriture salvatrice de Genêt, de l'univers baroque d'Arrabal.

Ecrite, mise en scène, jouée par d'anciens détenus, cette œuvre n'en demeure pas moins rigoureusement théâtrale — au point que son auteur ne conçoit pas qu'elle soit portée à la télévision. Elle a été beaucoup jouée depuis deux ans aux Etats-Unis, surtout dans les collèges et les universités. Elle a été accueillie avec succès à Bordeaux, et sera transportée la semaine prochaine à Amsterdam. Par ailleurs, deux autres compagnies la jouent actuellement en Amérique. Pourquoi ces anciens prisonniers font du théâtre? Pour gagner leur vie, pour exercer leurs talents, pour dire à la société qu'elle est responsable de ceux qu'elle enferme et de l'état où elle les réduit. Le résultat, à la scène, est remarquable. Puisqu'ils espèrent rester en Europe, on souhaite revoir ces comédiens dans une autre pièce, qui ne soit pas le prolongement d'un cauchemar non climatisé.

J. F.

Auteur J.F.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) The Cage

Date(s) du 1972-11-29 au 1972-12-03

Artiste(s) San Quentin Drama Workshop

Compagnie / Organisation